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Pour relancer notre économie, il faudrait une poigne à la Thatcher

Publié le jeudi 1 août 2002
Interviews

Un des événements majeurs du premier semestre a été le plongeon de la Bourse. Vous a-t-il surpris ?

Pas vraiment. Les cours avaient atteint depuis un moment des niveaux extravagants. En 1999, Alan Greenspan, le président de la Banque centrale américaine, parlait d’« exubérance irrationnelle ». Eh bien, nous sommes passés à la phase maniaco-dépressive : un pessimisme aussi excessif que l’avait été l’exubérance précédente, avec des fluctuations délirantes en une seule journée. Entre 1995 et 2000, les Bourses européennes et américaines ont grimpé de 25 % par an, beaucoup plus vite que les perspectives de bénéfice des entreprises. Nous sortons de cette anomalie pour revenir à une tendance à peu près raisonnable : + 7 à + 10 % par an, soit un doublement en dix ans, ce qui est déjà beaucoup.

Comment enrayer la crise de confiance provoquée par l’épidémie de scandales financiers ?

On ne peut la stopper qu’en soignant les causes de la maladie : la rentabilité de 15 % des capitaux propres exigée par les investisseurs n’était pas réaliste. Certains dirigeants ont triché pour l’atteindre. En utilisant des moyens artificiels, comme l’excès de dette, voire malhonnêtes, comme le trucage pur et simple de leur comptabilité, ils n’ont pas attiré l’attention pendant la période d’euphorie boursière. Mais, c’était fatal, le marché s’est retourné et ils sont aujourd’hui démasqués. De nouveaux garde-fous devraient faire cesser ces pratiques : la séparation des fonctions de conseil et d’audit, la responsabilisation accrue des conseils d’administration, dont on a vu l’impact sur le traitement du dossier Vivendi… Et, surtout, la sanction du marché : rien de plus dissuasif, pour les tricheurs, que la disparition pure et simple d’un géant mondial de l’audit comme Arthur Andersen.

Le marché parisien des actions a baissé de 22 % l’an dernier et de 20 % depuis le début de l’année. A-t-il touché le fond ?

Le plus dur est certainement derrière nous. Mais certaines valeurs dites de la nouvelle économie affichent encore des cours trop élevés. Pour celles qui sont surendettées et dont la situation nette est négative, la baisse n’est probablement pas terminée.

Jusqu’où leur cours peut-il descendre ?

Il n’y a pas de limite ! En revanche, des signes positifs apparaissent pour l’ensemble du marché. D’abord, lorsque les petits porteurs commencent à vendre, comme c’est le cas aujourd’hui, cela veut dire que la remontée n’est pas loin. Car, malheureusement, l’expérience le prouve, ils cèdent souvent leurs actions au plus bas. Ensuite, il faut noter que la baisse des indices est surtout due à l’effondrement d’un petit nombre de valeurs – une vingtaine à Paris. Les autres ne s’en sortent pas si mal et se rapprochent même parfois de leur plus haut niveau historique, grâce à la reprise économique qui est en marche.

Cette reprise sera-t-elle durable ?

Elle ne peut pas être fulgurante, car la récession a été une des plus modérées de l’après-guerre, et la consommation n’a baissé ni en Europe ni outre-Atlantique. De plus, les États-Unis sortent d’une période de surinvestissement des entreprises, en particulier dans les nouvelles technologies, qu’il faut encore digérer. Mais les dernières prévisions pour la France sont assez bonnes : + 2,5 % au deuxième semestre et + 3 % l’an prochain, nous dit l’Insee.

Les effets conjugués de la baisse de la Bourse, qui appauvrit les épargnants, et de la remontée de l’euro par rapport au dollar, qui pourrait freiner les exportations européennes, ne risquent-ils pas de casser ce regain de croissance ?

Il est exact que la hausse rapide de l’euro pourrait handicaper notre économie si elle se poursuivait. Mais si la parité se stabilisait autour de 1 euro pour 1 dollar, on se retrouverait dans une situation que tout le monde jugeait normale au moment de la création de la monnaie unique. Jusqu’à 1,20 dollar pour 1 euro, la compétitivité européenne demeure acceptable. Cette remontée va freiner l’inflation en Europe, donc y réduire le risque de hausse des taux d’intérêt. Elle gênera peut-être un peu les exportations, mais stimulera la consommation intérieure.

Vous avez écrit en 1983 un livre sur les atouts de notre pays, « La France quand même ». À l’époque, vous étiez très optimiste. L’êtes-vous autant aujourd’hui ?

Je suis un peu déçu par ce qui s’est passé depuis. Les atouts de la France n’ont pas été exploités comme je l’imaginais et sans doute étais-je trop optimiste. La principale raison en est le manque de courage des gouvernements de ces vingt dernières années. Aucun n’a pris le taureau par les cornes pour résoudre les problèmes de fond de la France comme le financement du système de retraites, les dépenses de l’État providence, l’inadaptation du système éducatif et les rigidités du marché du travail qui expliquent le niveau anormalement élevé de notre taux de chômage. Notre pays souffre de maux profonds qu’il est urgent de traiter. C’est la mission du nouveau gouvernement et il ne faudrait pas qu’il lâche le guidon à la première manifestation de la rue. Souvenons-nous de Maggie Thatcher : parce qu’elle avait tenu tête aux grèves, les réformes ont pu être menées et la Grande-Bretagne a retrouvé le chemin du plein-emploi. Si Jean-Pierre Raffarin fait preuve de la même poigne, la France pourra rebondir. Sinon, on a du souci à se faire.

Propos recueillis par Philippe Genet pour Capital