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Bourse : les raisons d’une secousse

Publié le mercredi 21 septembre 2011
Interviews

Pour Le Point, Michel Cicurel, président du directoire de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, décrypte la crise des subprimes.

Pouvez-vous nous expliquer ce qui est en ce moment à l’œuvre sur les marchés ?

Si vous m’autorisez une image, nous sommes en présence d’une fusée à trois étages. Pour qu’elle « décolle », c’est-à-dire pour qu’une vraie crise éclate, il faut que chaque étage ait assez de carburant pour propulser le suivant.

Commençons donc par le premier…

C’est l’étage des subprimes.

Autrement dit…

Les subprimes sont des prêts immobiliers accordés, aux États-Unis, à des ménages peu solvables.

Mais pourquoi prêter à des gens qui risquent de ne pas rembourser ?

Les établissements qui délivrent ces prêts pensent faire une opération raisonnable en compensant le risque encouru par un taux plus élevé, une prime. Et les ménages modestes acceptent de payer cette prime pour acheter un bien immobilier dont le prix ne cesse de monter.

Quand même, pourquoi réaliser des opérations aussi idiotes ?

Ce n’est pas idiot, c’est risqué, comme l’est n’importe quel crédit bancaire. A quoi servirait l’industrie de la finance si elle était incapable de transformer les dépôts en crédits risqués au service de l’économie ?

Que s’est-il passé concrètement ?

Deux choses. Aux États-Unis, l’essentiel des prêts immobiliers sont accordés à taux variables, ce qui n’est pas le cas en France. Comme les taux ont augmenté, la charge du crédit est devenue insupportable pour les ménages les plus fragiles. Ces prêts sont de surcroît gagés sur la valeur de la maison ou de l’appartement acheté. Comme cette valeur a fini par diminuer, les ménages en difficulté n’ont plus été en mesure de « recharger » leurs prêts pour faire de nouveaux emprunts. Ils sont doublement asphyxiés.

Mais la crise immobilière aux Etats-Unis a commencé il y a dix-huit mois. Ne me dites pas que le business des subprimes a continué.

Certains établissements ont dû continuer, ce qui est évidemment criminel et suicidaire.

Est-ce que, comme on l’a dit, les fonds d’investissement jouent un rôle dans la crise actuelle ?

Pour comprendre le rôle des fonds, il faut savoir que les prêts immobiliers, et notamment les subprimes, sont « titrisés ».

Encore un gros mot…

« Titrisés », cela signifie transformés en titres, achetés par des investisseurs, cotés en Bourse, et souvent acquis par des fonds. Quelques pincées de subprimes, offrant de bons rendements, ont été parfois investis dans des fonds dits « monétaires dynamiques » pour pimenter les placements de trésorerie. Sauf que lorsqu’une crise éclate l’addition est épicée.

Les fonds sont-ils responsables des secousses boursières actuelles ?

Certains hedge funds ont acheté massivement des subprimes, et donc encouragé les abus de crédit. Comme ils se sont financés eux-mêmes à crédit, c’est pire. Il y a un risque énorme de débouclage en catastrophe de leurs positions. Mais les fonds de private equity n’ont rien à voir dans cette affaire.

Y a-t-il assez de carburant, de subprimes, au premier étage de votre fusée pour propulser le second ?

C’est la question. Personne ne connaît avec précision l’ampleur du volume des subprimes accordés ni, par conséquent, l’ampleur de l’exposition du système financier. L’ordre de grandeur est en centaines de milliards de dollars.

Plus précisément…

Le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a estimé la perte potentielle sur les subprimes entre 50 et 100 milliards de dollars.

Est-ce dangereux ?

Non, le risque est gérable.

Alors, pourquoi se préoccuper ?

A cause du deuxième étage. Quelques étincelles au premier pourraient l’allumer. Or, il y en a déjà eu quelques-unes.

Que se passe-t-il au deuxième étage ?

Là, le carburant de la crise, ce sont les établissements prêteurs. Aux États-Unis, certains établissements spécialisés se sont bourrés de subprimes. Ils pourraient devenir insolvables. Cela a été le cas, par exemple, de New Century Financial, qui a déposé le bilan. D’autres faillites ne sont pas à exclure. Elles menacent à leur tour les banques qui soutenaient les établissements spécialisés. D’abord les moyennes, comme on l’a vu avec IKB en Allemagne, puis, par cercles concentriques, les grandes. C’est comme cela que l’on peut déboucher sur une crise majeure du crédit. Plus personne ne prête à personne de peur de ne jamais être remboursé. Les investisseurs veulent recouvrer leurs créances immédiatement dans un mouvement de panique. La méfiance généralisée s’installe. C’est le credit crunch, l’assèchement du crédit.

C’est pour l’éviter que les banques centrales sont intervenues ?

Effectivement, les banques centrales ont procédé à des injections massives de liquidités. Elles sont parfaitement dans leur rôle. Puisque plus personne ne veut prêter à personne, elles débloquent la situation en accordant elles-mêmes des crédits aux banques. Elles seules ont cette faculté de maintenir ouvert le robinet du crédit.

Ces interventions prouvent bien que nous sommes en pleine crise.

la_banquiere-romy-schneiderElles prouvent qu’il y a un risque de ruée vers les liquidités, qu’il faut éviter. Vous vous souvenez du film « La banquière », magnifiquement interprété par Romy Schneider ?

Même la BNP et Axa, que l’on croyait à l’abri, ont fermé des fonds.

Ils ont fait la seule chose possible ! Ces quelques fonds monétaires ne pouvaient plus être valorisés car chargés en subprimes et en obligations indexées sur des actifs (asset backed securities, ABS) qui ne trouvaient plus d’acquéreurs et n’avaient donc pas de prix. Cela ne veut pas dire que les investisseurs dans ces fonds ont perdu leurs billes. Mais qu’on attendra un retour à meilleure fortune pour fixer un prix. Les transactions pourront alors reprendre.

Ce n’est pas rassurant tout de même…

Peut-être. Mais en face vous avez la caution de grands établissements qui assureront la liquidité.

D’accord, mais ça veut dire que les grandes banques aussi commencent à trinquer…

Alors, parlons du troisième étage, car c’est là que les choses sérieuses pourraient commencer.

Justement…

Faisons un cauchemar sans aucun rapport avec la réalité. Si la crise des subprimes conduit au bord de la faillite des établissements spécialisés puis des banques de troisième catégorie, et ainsi de suite jusqu’aux grands de la place, la fusée est mise en orbite. C’est la crise financière avec des Bourses qui s’effondrent et des économies qui ne sont plus financées et s’enfoncent dans la récession. On entre dans une crise systémique.

C’est cela qui fait gamberger les traders…

Quelle est l’étendue de l’exposition aux subprimes et aux ABS ? Quels établissements sont concernés et à quels niveaux ? Quels poids les fonds à court terme ont-ils accordé à ces risques ? Le marché ne sait pas. Il cherche. Et surréagit à la moindre nouvelle, redoutant au final le credit crunch. Voilà pourquoi nous avons un sale été boursier.

Ça n’est quand même pas 1929 ?

Pour le moment, bien sûr que non. Le paradoxe, c’est que cette crise financière éclate au moment où l’économie mondiale ne s’est jamais aussi bien portée : les entreprises ont un bilan très sain et des bénéfices record.

Donc, pas de panique !

Vous savez ce qui arrive aux moutons de Panurge qui paniquent ! Depuis 1929, nos banques centrales ont beaucoup appris. Elles savent gérer ce type de crise. Elles se parlent, elles agissent de concert. Dans les années 80, avec la faillite des caisses d’épargne déclenchée aussi par l’immobilier, les États-Unis ont connu pire. La crise a été surmontée.

Celle-là le sera donc aussi ?

Si je devais résumer, je dirais que rationnellement il n’y a pas du tout lieu de s’affoler, en particulier sur le placement en actions, voire en obligations traditionnelles. Mais si l’irrationnel s’en mêle…

Propos recueillis par Patrick Bonazza pour Le Point