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Il n’y a pas de risque, dans la durée, à investir dans les entreprises de qualité

Publié le vendredi 12 août 2011
Interviews

Entretien de Michel Cicurel, président du Directoire de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild, à propos de la crise boursière de l’été 2011. Michel Cicurel en profite pour caractériser les trois mutations du monde actuel : la poussée des pays émergents, la crise des finances publiques et la crise écologique.

Les places boursières vont-elles mettre fin à leur chute ?

Les marchés vont rester très volatils et propices à des spéculations absurdes, comme avant-hier, qui restera « la journée des dupes ». Ils retrouveront une franche direction positive, ce qui est certain, lorsqu’ils auront compris qu’il ne s’agit pas d’un accident mais d’une nouvelle donne mondiale, une triple métamorphose. La première est la poussée des économies émergentes, qui bouleverse le modèle des pays développés fondé sur l’endettement du « consommateur roi » et de son État-providence ! L’un comme l’autre doivent accepter à la fois un niveau de vie contraignant pour l’avenir et le règlement des factures d’un passé de cigale. Les États des deux rives de l’Atlantique doivent se soumettre à une « règle d’or » d’équilibre des finances publiques, arrêtée unanimement par l’ensemble du monde politique.

Quelles sont les deux autres crises ?

Précisément, celle des finances publiques que les dirigeants occidentaux n’auraient pas traitée s’ils n’avaient été interpellés par les marchés, donc les épargnants. Cela fait dix ans que les États-Unis ont virtuellement perdu leur « AAA » et trente-cinq ans que le budget de la France est en déficit ! La finance a bon dos ! La crise bancaire de 2008 aura été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mais ce sont des causes multiples qui expliquent le ralentissement de la croissance des pays développés et aggravent ainsi leurs déficits publics. C’est pourquoi j’aime bien le cocktail français de rétablissement de l’équilibre : contrôle des dépenses sans purge brutale ; hausse modérée de la pression fiscale, déjà excessive, sans frapper les entreprises ; financement d’« investissements d’avenir » pour améliorer notre compétitivité. À moyen terme, l’Europe ne retrouvera de la croissance, et des finances publiques équilibrées, que par une mise en œuvre intégrale du programme de Lisbonne.

La troisième crise est écologique, liée à la rareté des ressources naturelles face à une augmentation très forte de la population mondiale et du niveau de vie des émergents. Les pays riches, insuffisamment sobres, souffrent de la flambée du prix des énergies fossiles et des produits de base, dès que la croissance mondiale est soutenue. Au-delà de 80 dollars le baril, la consommation américaine subit une ponction de pouvoir d’achat qui affecte la croissance. C’est la principale cause du ralentissement du printemps, et le contre-choc pétrolier en cours produira ses effets positifs à l’automne.

La situation est-elle grave ?

Non, c’est l’excès d’inquiétude et la spéculation qui sont graves. Le taux de croissance mondial reste élevé. Aujourd’hui, les pays émergents en assurent l’essentiel, mais les pays développés en profitent à condition de s’adapter au nouveau monde et de ne pas tomber dans le piège du protectionnisme. Pour preuve : malgré le niveau élevé de la monnaie unique, l’Allemagne disciplinée reste le premier exportateur mondial.

Certains dénoncent l’échec des leaders politiques. Ont-ils raison ?

Je ne partage pas ce point de vue, même si les élections à venir pour les dirigeants clés du monde occidental inquiètent les investisseurs. Ces dirigeants savent bien qu’en phase d’inquiétude mondiale majeure ils seront jugés sur leur capacité à prendre des décisions responsables plutôt qu’électoralistes. D’ailleurs, la réaction de l’Europe à la crise, depuis dix-huit mois, a été remarquable et courageuse. Il faudra bien aller au bout du chemin et prévenir les crises souveraines plutôt que d’éteindre les incendies successifs. Et donc mettre en place l’« eurobond » et une gouvernance fédérale des budgets de l’eurozone. Nous y viendrons fatalement.

Quelles sont les voies de salut ?

Les entreprises non financières et les économies émergentes, bref ceux qui font des efforts ! Car à la différence des États, qui traînaient à faire le ménage chez eux, les entreprises ont remarquablement redressé leur situation. Elles se portent aujourd’hui parfaitement bien, avec des bilans sains, une montagne de cash, des investissements pertinents et une exposition croissante au monde émergent. Comme toujours, les fourmis impassibles et patientes gagnent la partie !

Propos recueillis par Cyrille Lachèvre pour Le Figaro