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Gare aux faux abris dans ce contexte de convalescence !

Publié le samedi 16 janvier 2010
Interviews

Pour Le Journal des Finances, Michel Cicurel se penche sur la crise « totalement inédite » que le monde traverse. Dans cette situation instable,  il va falloir « naviguer à vue pendant au moins un an ». Après avoir peint un tableau général de l’économie,  Michel Cicurel aborde la situation spécifique de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, notamment ses investissements en Chine.

On observe depuis quelques semaines un rebond de la croissance. Estimez-vous que nous avons retrouvé des lendemains meilleurs ?

La crise que nous traversons est totalement inédite et bouscule l’ensemble de nos repères. Il y a un an, certains envisageaient l’apocalypse, issue qui était à mon sens invraisemblable, car les États et les banques centrales ne pouvaient pas laisser se reproduire la crise des années 30. Lehman fut la seule exception confirmant la règle. Avec un soutien massif aux banques et à l’économie, non seulement on évitait le drame systémique, mais une certaine reprise était assurée. S’agit-il d’un retour durable à la croissance ? On ne peut, à ce jour, en être certain. Je parlerais plutôt d’un début de convalescence. Le niveau de croissance dans les pays développés est encore étonnamment faible au regard de l’ampleur des mesures de soutien dont leurs économies ont bénéficié…

La reprise n’est donc pas du tout solide, selon vous ?

Dans cette crise inédite, il est délicat de faire un diagnostic rigoureux et stable. On a dû et on devra improviser constamment. Chacun sent bien qu’il va falloir piloter à vue pendant au moins un an encore. Surtout, il faudrait à tout prix éviter une rechute, car les banques centrales ne peuvent pas baisser des taux qui sont déjà à zéro, et aucun État, sauf dans les locomotives émergentes, n’est actuellement en mesure d’intervenir.

Aujourd’hui, il faut compter uniquement sur le retour progressif à un fonctionnement normal des économies de marché. Non pas qu’il y ait un risque réel de faillite d’un grand État, mais plutôt parce que le syndrome japonais guette les pays qu’on appelle encore riches. En effet, les particuliers épargnent massivement, de peur que l’État surendetté ne recoure aux prélèvements, et la consommation ne soutient plus la croissance. Il n’est pas anodin de constater que, pour la première fois, les Français commencent à se soucier véritablement de la capacité de l’État providence à payer leurs retraites.

Une conséquence plutôt positive de la crise…

Pour moi, la crise n’a pas fondamentalement changé le monde. Ce qui était vrai avant la crise l’est toujours, et même peut-être plus encore. Prenez l’exemple du secteur bancaire. Les trop grandes banques, surtout américaines, ont encore grandi après l’absorption de leurs malheureuses consœurs. On peut se demander si elles peuvent encore être convenablement maîtrisées par leur direction, leurs autorités de tutelle et, surtout, un État impécunieux qui serait éventuellement appelé à leur rescousse.

Quelle stratégie d’investissement conseillez-vous d’adopter dans cet environnement ?

Chacun s’accorde à penser qu’il est aujourd’hui extrêmement difficile de faire des prévisions économiques. Le monde a perdu le nord, au propre et au figuré, et les prévisionnistes sont légitimement déboussolés. Je ne suis pas très pessimiste, mais j’estime que le devoir d’inquiétude s’impose.

Les investisseurs devront faire preuve de souplesse et de réactivité pour diversifier leurs sources de performances et épouser les hauts et bas des bulles à venir. Bouger vite pour bénéficier des opportunités du présent, mais aussi prendre dès maintenant des positions de long terme pour anticiper les créations de valeur du futur.

Deux thèmes retiennent notre attention en ce début d’année : les entreprises et les pays émergents. Les premières ont réduit drastiquement leurs coûts et leur endettement, les seconds ont montré leur capacité de réaction. C’est pourquoi notre stratégie d’investissement fait la part belle aux entreprises à travers des actions, des obligations d’entreprise et, bien sûr, des obligations convertibles.

Au-delà du tumulte des flots, quelques vagues de fond sauront s’imposer dans les décennies à venir. Premièrement, le numérique, qui restera un puissant moteur de croissance. Deuxièmement, l’écologie, même si la bulle écologique a logiquement éclaté à Copenhague, car on ne pouvait parvenir si rapidement à un accord contraignant dans un contexte de récession mondiale. Je suis convaincu qu’il y aura une véritable croissance portée par l’écologie, même s’il faudra se méfier des tentatives portées par la mode, qui pourraient se révéler dénuées de substance. Type bulle Internet !

Enfin, encore et toujours, le monde émergent. Les pays émergents représentaient environ la moitié de la croissance mondiale avant la crise; aujourd’hui, ils représentent la totalité. Ces pays ont actuellement tous les atouts. Ils sont écrasants en termes de démographie, d’ardeur au travail et de capacité de financement. Impossible, dans ces conditions, de ne pas s’intéresser à l’Asie émergente.

L’intérêt pour cette région n’est pas nouveau dans votre maison…

Bank of ChinaEn effet, à la Compagnie Financière Edmond de Rothschild, cette expertise n’est nullement une mode récente. Nous suivons de près cette région depuis dix-sept ans déjà à travers notre fonds Saint-Honoré Chine. Nous y avons ajouté il y a quatre ans un fonds Chinagora, qui permet d’investir dans des actions domestiques chinoises. Et, il y a un an, un fonds chinois de private equity. Caractéristique fondamentale, ces fonds sont gérés par une équipe sur place. Il est en effet très important d’être in situ pour bien comprendre le marché chinois, qui offre désormais une capitalisation boursière supérieure à la Bourse de New York.

En outre, nous nous sommes rapprochés de Bank of China fin 2008. Nous n’avons pas pu nous lier de façon capitalistique, mais nous mettons en œuvre un accord de coopération avec cette troisième banque du pays, cinquième mondiale, qui compte la bagatelle de 150 millions de clients !

Aujourd’hui, investir en Chine n’est certes pas un long fleuve tranquille, mais, à condition de faire les bons choix, c’est un magnifique courant qui conduit assurément à la mer, et une mer poissonneuse.

Votre portefeuille idéal refléterait donc ces trois éléments ?

Non, pas dans l’immédiat ! Dans le contexte actuel de convalescence fragile, il faut composer un portefeuille diversifié. Un bon portefeuille doit être modérément agressif mais se montrer vraiment audacieux dans sa part la plus exposée au risque. Quitte à prendre des risques, il faut les prendre vraiment.

Si vous voulez mettre un peu de piment, vous ajoutez par exemple une bonne pincée de Chine et, ce qui est une autre façon de jouer les émergents, de l’énergie et des matières premières. Surtout, gare aux faux abris. Rappelons-nous, les premiers produits qui ont rencontré des difficultés dès l’été 2007, c’étaient de simples Sicav monétaires dynamiques !

Propos recueillis par Annelot Huijgen et Roland Laskine pour Le Journal des Finances