Retour

Le retour des bonus est une terrible provocation

Publié le jeudi 13 août 2009
Interviews

Réputé pour ses prises de position non conformistes, Michel Cicurel, le président du directoire de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, une des plus grandes banques privées françaises, n’hésite pas à condamner une pratique pourtant largement admise parmi ses pairs. Il redoute un choc en retour qui porterait un grave préjudice aux banques et à l’économie. Entretien.

Le retour des bonus faramineux scandalise l’opinion. Qu’en pensez-vous en tant que banquier ?

Tout est parti de Wall Street. Je suis très préoccupé par ce qui m’apparaît comme une terrible provocation. Je trouve irresponsable que ces errements puissent persister alors que l’économie va continuer à se dégrader et le chômage à augmenter. Si les banquiers, qui sont considérés, à tort ou à raison, comme à l’origine de la crise, continuent à distribuer des rémunérations extravagantes, cela peut devenir très dangereux.

Mais n’est-ce pas le signe d’une sortie de crise ?

Pas du tout. La crise n’est pas finie. C’est curieux comme l’humeur des gens change vite. Certes, on va observer, comme c’était prévisible, un rebond de l’activité dû à la fin du déstockage et aux délais de réaction des agents économiques face aux mesures de politique monétaire et fiscale prises par les banques centrales et les gouvernements. Mais les entreprises et l’emploi n’ont pas fini d’être à la peine. Par contraste, les rémunérations sidérales distribuées par Wall Street vont rendre fous de rage ceux qui souffrent de la crise.

Des rémunérations anormalement élevées ?

Oui. Sur la durée, les rémunérations doivent être en rapport avec la contribution de chacun à la société. Les niveaux atteints à Wall Street sont de la pure folie. Les responsables politiques américains ne peuvent pas laisser faire. Si Wall Street continue à agir n’importe comment, la planète finance sera forcée de suivre, ce qui serait dramatique.

Doit-on interdire les bonus ?

Absolument pas, bien au contraire. On a pris l’habitude dans l’opinion d’assimiler les bonus à des cadeaux (est-ce une réminiscence du vieux « cadeau Bonux » ?). En réalité il s’agit de la partie variable des rémunérations. Le maintien de cette partie variable est essentiel. Sinon, ce sont les rémunérations fixes qui atteindraient des niveaux exagérés. Ce qui serait encore plus choquant. Il faut bien sûr que le bonus reste lié à la performance de chacun dans la durée. Ce qui est effarant, ce sont les bonus garantis. Retomber dans cette pratique serait catastrophique.

La France peut-elle prendre seule des mesures contraignantes ?

Non. Et les banques françaises ne pourront avoir raison toutes seules. Il s’agit bien évidemment d’un sujet de concertation internationale, qui sera débattu au prochain sommet du G20. Je suis convaincu que la crise est largement due à la politique de la Réserve fédérale et aux erreurs des États. Néanmoins, les banquiers ont été leurs complices, ce qui leur impose aujourd’hui un minimum de décence. Sans quoi ils devront affronter « les raisins de la colère ».

Appliquez-vous cette modération à La Compagnie Financière Edmond de Rothschild ?

L’an dernier, nos résultats ont baissé de moitié et nos bonus aussi. Nous gérons nos équipes dans la longue durée et les mercenaires opportunistes qui veulent s’enrichir le plus vite possible ne nous intéressent pas. Ce qui ne nous empêche nullement de réaliser de bonnes performances. Autrement, la Bank of China ne nous aurait pas choisis comme partenaire pour la banque privée et la gestion d’actifs.

Propos recueillis par David Victoroff pour Valeurs Actuelles