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Les bourses mondiales sont déboussolées par trois arbres qui cachent la forêt

Publié le mardi 23 février 2016
Tribunes

 

Les marchés financiers mondiaux ont perdu le nord. Alors que le consensus les voyait en hausse en 2016, ils sont en forte baisse et la volatilité élevée rend compte de leur égarement. Car ils cherchent leur direction en scrutant vainement trois autorités : les banquiers centraux, le gouvernement chinois et la famille Saoud. Et si ces pouvoirs réputés indéchiffrables n’étaient que des arbustes cachant la forêt ? Jugeons-en !

 

Les marchés scrutent maladivement les intentions de banquiers centraux dont la marge de manœuvre devient nulle : la Fed schizophrène forcée de remonter ses taux au moment précis où pourrait s’amorcer une fin de cycle aux Etats-Unis, et la BCE qui promet d’ouvrir les vannes, mais dont l’audace tardive est totalement neutralisée par le régulateur européen qui visse le robinet du financement bancaire.

Ces mêmes marchés fantasment sur un atterrissage brutal de l’économie chinoise qui ne progresse que de 6 à 7 % au lieu de 10 à 12% naguère. Mais ils s’affolaient alors de l’agressivité commerciale de « l’atelier du monde », dont la taille a été multipliée par 4 en 15 ans, de sorte que 1% de croissance en 2000 vaut 0,25% en 2015. L’Empire du Milieu sort de l’adolescence économique et se tourne vers la demande intérieure, les services, le compagnonnage commercial et monétaire avec ses partenaires du monde développé. Certes, les transitions sont toujours difficiles, mais sous la conduite d’un dirigeant d’exception, armé de munitions impressionnantes, le dévissage reste improbable.

Last but not least, les bourses paniquent sur le prix du pétrole décimé par la stratégie géopolitique du régime saoudien qui cible le revenant iranien, son protecteur russe, et son nouvel ami américain, champion du schiste. Certes les contre-chocs pétroliers sont toujours des aubaines pour la croissance mondiale, mais l’on craint les effets pervers sur les émergents pétroliers, et sur l’Arabie Saoudite elle-même forcée de liquider ses positions boursières. Comme d’habitude, les analystes, d’ailleurs encouragés par les hedge funds procycliques, prolongent les courbes : ils prévoyaient il y a peu le baril au-dessus de 200 $, et l’envisagent désormais au-dessous de 20 $ ! Pourtant la demande de pétrole, y compris chinoise, n’a cessé de croître, la production à ces prix chutera forcément, et l’Arabie Saoudite ne peut continuer de se ruiner à ce rythme. Les prix ne peuvent donc se stabiliser à ce niveau trop bas.

 

Ainsi nos marchés s’affolent des intentions jugées obscures de trois faux « despotes », en fait parfaitement éclairés par des réalités connues de tous. Et leur inquiétude s’exacerbe car il leur semble que le fonds de l’air est glacial, que les deux locomotives mondiales – Etats-Unis et Chine – s’essoufflent, que les émergents sont tous en panne, que l’Europe convalescente se débat entre les migrants ou le Brexit, et que l’Occident, malade du taux zéro, pratiquera pour préserver son opulence la sorcellerie financière jusqu’à ce que mort s’ensuive. Face à cet avenir obscur, entre mort lente de la croissance mondiale et mort subite du krach financier, les marchés se raccrochent au quotidien anecdotique de trois arbres insignifiants qui leur cachent les fondamentaux d’une forêt luxuriante, riche d’une formidable croissance à moyen et long terme.

Car l’économie mondiale a toujours été propulsée par deux réacteurs dominants : la démographie et le progrès technique. Or, la démographie mondiale connaît une fulgurance inédite : le passage de 6 à plus de 9 milliards de terriens en un demi-siècle ! Comment imaginer une demande mondiale qui s’essouffle ? Quant au progrès technique, le numérique est une disruption majeure qui bouleverse toutes les activités traditionnelles sans aucune exception. Bien entendu, les services privés (de la banque à l’hôtellerie), les biens d’équipement (de la maison à l’automobile connectées), mais aussi, et c’est essentiel, les grands pans de l’Etat-Providence – Education ou Santé – que l’Europe ne saurait préserver à moindre coût sans la magie numérique.

 

Ce n’est pas un hasard, ni une forfaiture, si les géants du numérique, Amazon en tête, portent à eux-seules la croissance de la bourse américaine. C’est ce big bang du temps et de l’espace qui met à portée du consommateur mondial ce rêve de la théorie économique : la concurrence pure et parfaite, universelle et instantanée. Ce qui se met en place au XXIème est une nouvelle ère de demande et d’offre mondiales. Comme rien ne sert de se préparer à la fin du monde, imprévisible et incurable, les investisseurs n’ont d’autre choix raisonnable que de devenir les actionnaires stables et durables de l’avenir en se moquant de l’écume des vaguelettes boursières pour chevaucher cette fabuleuse lame de fond.