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La règle, dans une période d’incertitude, c’est de diversifier

Publié le lundi 11 mai 2009
Interviews

Grande figure du monde bancaire, Michel Cicurel salue le sang-froid dont ont fait preuve les épargnants au cours de ces derniers mois. Dans un entretien pour La Croix, il évoque tour à tour la crise économique, la situation des grandes banques américaines, la volatilité des cours de la Bourse, la régulation des marchés et les difficiles prévisions économiques à long terme.

Est-il possible de dire où nous en sommes dans cette crise ?

La sagesse serait de renoncer à la prévision. Mais c’est notre métier ! Alors je me lance, avec beaucoup d’humilité parce que la situation est inédite et très volatile. S’agissant des banques, depuis « l’incident » Lehman Brothers, les autorités sont unanimement convaincues qu’il ne faut pas « lâcher » une grande banque, quoi qu’il en coûte. On constate aussi que la plupart des établissements ont eu un premier trimestre 2009 honorable, ce qui n’est pas très étonnant puisque les banques prêtent de l’argent qui ne leur coûte plus rien. Reste que les actifs toxiques exigeront des provisions supplémentaires et que les risques sur les crédits à l’économie vont s’aggraver. Ce n’est pas parce que l’on a vu trois plumes d’hirondelle que c’est le printemps !

S’agissant de l’économie mondiale, la situation est également complexe, parce que nous sommes dans la première crise globale. Quand tout a de l’effet sur tout, il est difficile de prévoir. Au début de l’année, nombreux étaient ceux qui annonçaient l’apocalypse. Aujourd’hui, on comprend que c’est une crise sévère, mais pas la fin du monde. D’où un soulagement excessif. Des contrepoisons, à la fois naturels et artificiels, sont à l’œuvre. Côté naturel : le contre-choc pétrolier et la baisse de nombreux prix sont un soutien important pour le pouvoir d’achat. Autre facteur de soutien : pour déstocker, les entreprises ont réduit massivement leur production, à un rythme jamais vu. Cela conduira à un redémarrage plus rapide que par le passé, car la production zéro ne peut évidemment pas s’éterniser. Du côté des contrepoisons artificiels, les plans de soutien budgétaires et monétaires sont très puissants. L’ensemble donne un traitement de cheval qui ne peut pas ne pas agir.

En tout cas, nous ne sommes plus dans une phase d’accentuation de la crise. Je pense que, quelque part vers la rentrée, on devrait connaître la fin de la récession, ce qui serait déjà très significatif. Le vrai sujet des mois à venir sera le chômage. En France et ailleurs en Europe, les chiffres sont préoccupants. En Espagne, ils sont catastrophiques. Mais comme disait Nietzsche : « Le malheur n’approche jamais dans le vacarme mais dans le bruit feutré du sautillement de la colombe. » Là, nous sommes vraiment dans le vacarme ! Tout le monde a compris que le mal est sérieux, ce qui présage déjà le début de la guérison.

Comment en est-on arrivé là ?

Les autorités monétaires américaines ont laissé se développer une mécanique infernale dans laquelle les déficits de la cigale américaine se creusaient, financés principalement par la fourmi chinoise. Il s’agit d’une crise du surendettement et de la surliquidité, que j’ai soulignée dès l’hiver 2006. Bien sûr, les banquiers ont eu recours aux paradis artificiels. Mais le « dealer », c’était le président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, qui n’a pas su freiner l’excès de liquidité.

« Nous ne sommes plus dans une phase d’accentuation de la crise. Je pense que, quelque part vers la rentrée, on devrait connaître la fin de la récession. »

Pour combattre la crise, les banques centrales n’ont-elles pas encore accentué la création monétaire ?

Elles ne pouvaient pas faire autrement. Sinon nous serions en dépression. Le problème va être : comment sortir du traitement ? Il y a actuellement deux systèmes bancaires, le système normal qui est en panne, et un système de secours constitué par les États et les banques centrales. Il faudra relâcher à temps la pression sur le système de secours lorsque le système normal se remettra à fonctionner. Car si les deux tournent à plein régime en même temps, la machine infernale va reprendre sa course folle. En réalité, je crains davantage la gestion de la sortie de crise que la crise elle-même. Mais je dirais que la gestion mondiale de la crise, sans être parfaite, est assez réconfortante : l’existence même du G20 montre que l’on ne joue pas chacun pour soi.

Faut-il davantage de régulation, de contrôles ?

Il faut bien sûr réguler de manière plus pertinente, et ne pas laisser des pans entiers de la finance sans régulation lorsqu’ils comportent un risque systémique. Mais il s’agit surtout de savoir si le régulateur remplit bien sa mission. La Réserve fédérale et la SEC, l’autorité des marchés boursiers américains, ont commis autant d’erreurs que les banquiers, mais une erreur dans la tour de contrôle fait beaucoup plus de morts qu’une erreur dans la cabine de pilotage. Bernard Madoff a été archi-contrôlé par la SEC et cela a donné les résultats que l’on sait !

Dans ce climat, que doivent faire les épargnants ?

La règle principale, dans une période d’incertitude, c’est de diversifier. Nombreux sont ceux qui placent leurs capitaux sur le marché monétaire, qui ne rapporte plus rien. Leur idée est d’attendre pour bouger au bon moment. Mais, dans une situation aussi brumeuse, vous ne saurez jamais quel est le bon moment. Je crois qu’aujourd’hui, il faut être investi à long terme : en actions, en obligations d’entreprises, en hedge funds bien sélectionnés. En immobilier, c’est peut-être encore trop tôt.

Est-ce le moment d’acheter par exemple des actions ?

Il serait irresponsable de dire sans nuance : achetez ! Mais je crois à des choses simples. On ne peut pas investir en actions pour un an. L’horizon de trois, quatre ou cinq ans est un délai raisonnable. Si, avec prudence, vous achetez maintenant, il est possible que dans six mois vous constatiez que vous avez eu tort. Vous ne serez peut-être pas entré au plus bas mais sûrement pas loin. Je pense que, dans les dix-huit à trente-six mois, vous vous en réjouirez, les valeurs d’entreprises étant aujourd’hui ridiculement basses. Il faut toujours avoir une part de son patrimoine en actions, cotées ou non cotées. Mais aujourd’hui, je le répète, il faut être diversifié pour répartir les risques, et choisir de ne pas bénéficier de toute la hausse s’il y a une hausse, afin de ne pas supporter toute la baisse s’il y a une baisse.

Comment expliquez-vous l’impavidité des épargnants ces derniers mois ?

Face à la volatilité des marchés, les particuliers ont acquis au fil des crises une sagesse remarquable. Sans un tel sang-froid, d’ailleurs, les places financières seraient vraiment parties en vrille, avec des effets en chaîne incalculables. Car le court-termisme reste un des points négatifs importants à retenir de cette crise. Cela a été le cas des banquiers ou de la Bourse, mais aussi des États qui, depuis des années, ont laissé filer les déficits publics, comme en France. Les particuliers, eux, vont être récompensés, car, n’étant pas sortis du marché, ils pourront bénéficier à plein de son redémarrage.

Propos recueillis par Jean-Claude Bourbon et Guillaume Goubert pour La Croix