La planète finance danse sur un fil
Publié le mardi 30 janvier 2007Une confortable majorité de prévisionnistes prévoient pour 2007 une nouvelle progression de l’économie mondiale et des marchés d’actions, avec de très bonnes raisons. L’atterrissage de la production américaine s’effectue en douceur. L’Europe, tirée par une Allemagne revigorée, retrouve le chemin de la croissance. Quant aux changes, ils évoluent dans le plus grand calme. L’inflation est sous contrôle, et les taux d’intérêt à long terme demeurent exceptionnellement sages.
Certes, les Bourses ont plus que doublé depuis le creux du printemps 2003, mais la hausse des cours n’a fait que refléter celle des bénéfices des entreprises, en pleine santé. Et du coup, le prix des actions demeure à son bas niveau de la sévère crise boursière du début du millénaire. Les liquidités, très abondantes, ne s’investiront massivement ni dans les obligations, dont le rendement est trop faible, ni dans l’immobilier, en haut de cycle, et n’ont d’autre choix que les actions qui n’ont pas encore connu d’engouement spéculatif. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes financiers. Et pourtant, c’est au moment où l’aversion au risque semble s’atténuer chez les investisseurs qu’une multiplicité de menaces pèse sur notre avenir immédiat.
« Au moment où l’aversion au risque semble s’atténuer chez les investisseurs, une multiplicité de menaces pèse sur notre avenir ».
Oublions un moment les facteurs de risques politiques majeurs, comme l’enlisement de la puissance américaine, puisque nos marchés financiers ont choisi de les oublier. Il reste que l’économie et la finance mondiales se propulsent à très grande vitesse dans un décor parfaitement inédit où la prospective ne trouve plus aucun repère dans le passé. Inédite, l’émergence fulgurante d’un grand tiers de la population du globe dans l’économie moderne. Inédite l’inondation de liquidités générée par les grands argentiers de la planète et le déficit extérieur américain pour conjurer la dépression et la déflation mondiales. Inédit le niveau d’endettement des pays, des États, des ménages américains, compensé de moins en moins par les robustes bilans des entreprises qui reprennent goût au crédit. Inédit ce jeu de barbichettes interdisant l’effondrement du dollar, puisque l’Asie et l’Opep en détiennent plus de 2.000 milliards. Inédite cette hausse des prix contenue et ces taux d’intérêt historiquement bas, malgré une croissance mondiale à 5 %, avec une énergie et des matières premières s’arrachant à… prix d’or.
Bouclier universel
C’est la mondialisation qui stabilise la croissance mondiale, l’Europe et l’Asie prenant le relais de la locomotive américaine. C’est elle qui contient l’inflation en haut de cycle parce que la force de travail mondiale a doublé. Elle encore qui explique la sagesse des taux d’intérêt, évitant notamment le krach immobilier, puisque l’épargne asiatique finance la dette occidentale. Elle qui relativise l’énorme déficit extérieur américain. Elle toujours qui a protégé le pouvoir d’achat de nos classes moyennes, amputé par l’impôt mais préservé par l’importation de textile ou d’électronique à bas prix. Et d’ailleurs, s’agissant de la France, comment expliquer le contraste entre la maladie de langueur de notre pays et le formidable succès de nos grandes entreprises, salué par le palmarès du CAC 40, si l’on oublie les bienfaits de la mondialisation ?
Car les deux tiers de l’activité de nos champions nationaux se situent hors de France, la moitié de leur actionnariat est étranger, et le très faible loyer de l’argent qu’elles empruntent serait impensable sans le bouclier de l’euro fort. L’économie mondialisée, entraînée pour plusieurs décennies sur une pente de forte croissance, accumule une série de contradictions et de déséquilibres qu’elle doit apprendre à gérer avec de nouveaux repères.
Métamorphoses
À la différence des pseudo-ruptures du passé, la mondialisation génère une véritable métamorphose des modèles économiques, financiers et boursiers. Mais dans un décor mondial qui ne connaît aucun précédent historique, le futur proche est particulièrement indéchiffrable. Les perspectives de l’économie globale demeurent brillantes à moyen et à long terme et tout investisseur qui a du temps ne peut investir qu’en actions. Mais, à court terme, il me semble que la fragilité des pronostics est extrême. Telle est la rançon de l’inédit pour les experts, qui s’appuient forcément sur les leçons de l’Histoire.
Notre planète est sur le fil de bien des points de vue, comme dans le film de Woody Allen Match Point, où la balle de match, perchée sur le filet, hésite longuement avant de choisir son point de chute. Nos marchés financiers finiront par traduire fatalement cette suspension hésitante. Rien n’interdit de croire que la balle tombera du bon côté. Mais rien n’interdit non plus une grande prudence. N’oublions pas : les primes d’assurance paraissent toujours trop chères… jusqu’au jour de l’accident !
Tribune publiée dans La Tribune