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La forte volatilité va durer, et ce n’est pas grave

Publié le jeudi 11 juin 2009
Interviews

À la tête d’un établissement réputé pour la qualité de sa gestion patrimoniale à long terme, Michel Cicurel a reçu Challenges le 29 mai, dans son bureau du faubourg Saint-Honoré, au siège parisien de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild. Au programme de l’entretien : la sortie de crise économique, l’investissement en Bourse sur le long terme, les stock-options et la moralisation du capitalisme.

Faut-il se dépêcher de revenir en Bourse ?

Je ne crois pas à la prévision boursière à court terme. Nous traversons une crise globale et longue, truffée d’incertitudes tous azimuts et dans tous les pays. Il y aura des rebondissements. Après des années de volatilité historiquement basse, celle-ci atteint des records. Cela va durer et ce n’est pas grave.

Pourquoi ?

On ne doit pas investir en actions pour quelques mois, mais pour le long terme. Dans cette perspective, je dirais que c’est un très bon moment pour rentrer en Bourse. Dormir en monétaire est absurde et se prélasser dans les fonds euros le deviendra assez vite. Sur un horizon de trois ans, il faut avoir pris sa place dans le TGV des marchés d’actions, sinon on reste cloué sur le quai de la gare.

Faut-il revenir sur les cycliques pour jouer la reprise de l’économie réelle, comme dans l’acier, l’automobile, le transport ?

Les perspectives économiques sont trop énigmatiques pour exclure l’hypothèse du bear market rally [rebond dans un marché baissier]. D’ailleurs, notre vaisseau-amiral, la sicav Tricolore Rendement, reste à l’écart des cycliques. La fin du déstockage favorise un rebond technique qui peut encore offrir quelques mois brillants aux valeurs cycliques. De là à parier sur une vraie reprise profonde et durable…

Quel est votre scénario de sortie de crise ?

Le monde sortira doucement de la récession, tiré par le couple États-Unis-Chine. À partir de la rentrée 2009, même si le chômage continue de progresser, nous retrouverons un peu de croissance. Comme une sorte d’arc-en-ciel. Mais la sortie de crise sera plus difficile à gérer que la crise. Le système de réanimation pour les banques et les économies, via l’État et les banques centrales, devra être progressivement débranché. À l’échelle mondiale, ce sera un exercice d’équilibre inédit et périlleux, entre la dépression et l’inflation à deux chiffres.

Les plans anticrise ont tout de même permis d’éviter le pire…

Naturellement. Mais depuis la Seconde Guerre mondiale, nombre de banquiers centraux injectaient de la liquidité au moment des crises et ne l’épongeaient pas à la sortie. La liquidité de l’économie mondiale n’a cessé de progresser, il va falloir apprendre à l’écoper !

Comment ?

Il n’y a hélas pas d’autres solutions que d’augmenter les taux.

Quelles sont les perspectives à long terme ?

Une période de convalescence est nécessaire. Mais je crois que nous allons retrouver la tendance de croissance forte à trente ans, un cycle de Kondratieff, tiré par le monde émergent et les nouvelles technologies, peut-être aussi par le green business, qui en est encore à ses balbutiements. Je suis persuadé que le fonds de l’air est chaud et que les choses iront plus vite qu’on ne l’imagine.

Peut-on s’attendre à un rally historique comme celui de 2003 à 2007, avec l’espoir de retrouver les niveaux antérieurs ?

Bien sûr, mais avec de la volatilité. Les valorisations sont faibles, plus faibles que dans le creux de 2003.

Mais elles étaient devenues exubérantes…

En janvier 2007, j’ai publié une tribune pour expliquer que « la planète finance dansait sur un fil ». Le fil a craqué. La débauche de création monétaire était mortelle. L’économie surendettée était shootée à la liquidité. Le dealer, c’était la FED américaine. Toutes les classes d’actifs étaient dopées, mais la plus sobre était celle des actions.

Faut-il changer sa manière d’investir en actions ?

La mission des actions est la création de valeur patrimoniale sur le moyen et long terme. Il faudrait en permanence être investi en actions bien choisies au lieu de vouloir toujours épouser les caprices des marchés.

Depuis 1998, les actionnaires n’ont rien gagné. Faut-il allonger son horizon d’investissement ?

Le CAC n’a rien gagné ! Tricolore Rendement, lui, a plus que doublé ! Quant à la durée, le long terme, c’est une génération.

Que penser des polémiques sur les rémunérations des patrons ?

Il est fou que des patrons exercent précocement leurs stock-options pour s’enrichir tout en restant à la tête de leurs entreprises. Ils doivent garder un montant significatif des actions de la maison qu’ils dirigent. D’une façon générale, il faut que l’ensemble des salariés soit intéressé à la création de valeur à long terme. Il faut associer les salariés aux perspectives bénéficiaires futures. Le moment est bien choisi pour développer l’actionnariat salarié, puisque les valorisations sont très basses. Sinon, la hausse parallèle de la Bourse et du chômage fera scandale. Plutôt que vilipender la Bourse, il faut la partager.

Comment ?

En donnant des actions aux salariés !

Que peut faire la loi attendue en septembre ?

On peut envisager un avantage fiscal. Mais ce qui doit changer d’abord, c’est le discours, l’ambiance. Les stock-options n’ont rien d’obscène si elles ne sont pas accaparées par quelques-uns.

Le capitalisme peut-il se moraliser ?

La générosité ne relève pas du domaine de l’économique. Pour que le système capitaliste marche, il faut que le moteur soit l’appât du gain. Mais on ne peut laisser le système se remettre en route avec ses éternels gagnants, tandis que l’ensemble de la collectivité continue de souffrir. C’est au politique d’empêcher que la valeur créée soit confisquée par un petit nombre. Pour que le système capitaliste soit compatible durablement avec la démocratie, il doit profiter à tous.

Propos recueillis par Pierre-Henri de Menthon et Agnès Séverin pour Challenges