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La crise n’est pas mortelle

Publié le vendredi 30 mai 2008
Interviews

C’est un beau message d’optimisme que nous délivre Michel Cicurel, président de La Compagnie financière Edmond de Rothschild, dans l’entretien que nous publions ci-après. À l’heure où les discours les plus catastrophistes rencontrent un grand succès d’estime, il est rassurant d’entendre un homme d’expérience rappeler des vérités élémentaires, à savoir qu’il y a toujours eu des crises dans le système capitaliste et que celles-ci ont toujours trouvé une issue favorable.

Après avoir prétendu que les cycles avaient disparu, certains voudraient nous faire croire aujourd’hui que nous sommes entrés dans une dépression pire que celle de 1929. Michel Cicurel, qui n’a jamais cédé quand tout allait bien à « l’exubérance irrationnelle » ramène les événements à leur juste proportion.

Cela dit, il est vrai que les temps sont troubles. Les défis auxquels nos économies doivent faire face sont inédits, même si certains aspects de la crise actuelle ne sont pas sans rappeler le début des années 1970, quand les prix du pétrole et des matières premières s’envolaient et que le Club de Rome prêchait la croissance zéro comme seule issue raisonnable. La secousse financière des subprimes, la fraude gigantesque dont a été victime la Société générale, dont Michel Cicurel est d’ailleurs administrateur,sont venues nous rappeler que les banques exerçaient un métier difficile et pouvaient être victimes d’accidents graves.

Cette difficulté s’est accrue avec la sophistication des instruments financiers, qui sont souvent ambivalents. Ainsi la titrisation a-t-elle permis une plus grande liquidité des banques en leur offrant la possibilité de se défausser sur des investisseurs d’une partie de leurs encours de crédits.

Mais les excès de cette titrisation, notamment pour contourner les contraintes toujours plus rigoureuses en matière de fonds propres, ont entraîné une brutale perte de confiance qui a provoqué la plus grave crise de liquidité jamais connue depuis longtemps. Pour une plus grande sincérité des bilans,les nouvelles normes comptables prescrivent une estimation des actifs à la valeur du marché au jour le jour, même si ceux-ci ont été acquis pour dix ans.La moindre dépréciation d’actif se répercute immédiatement dans les comptes, ce qui amplifie et accélère les crises boursières.

« Les crises portent en elles leur solution », nous dit Michel Cicurel. Mais les solutions portent elles aussi en elles les crises futures, comme l’a montré la titrisation.

Les derniers événements indiquent en tout cas qu’il est important de bien choisir à qui confier son argent. Même si, en France, les banques ont plutôt mieux résisté qu’ailleurs à la crise des subprimes, certaines sociétés de gestion réputées prudentes n’ont pas pu faire face à la crise de liquidité et ont dû s’adosser sur des établissements plus grands. De petites structures ont su développer une gestion performante. Le développement de la multigestion permet aujourd’hui aux grands réseaux de coexister avec des gestionnaires indépendants. Le choix est très ouvert, ce qui est utile en temps de crise tant la diversité des opinions et des styles de gestion sont importants pour éviter les mouvements trop moutonniers.

Le Club de Rome n’avait pas prévu, en prêchant la croissance zéro, la révolution de l’informatique et du multimédia qui allait bouleverser les données de la productivité. Après nous avoir valu la bulle des nouvelles technologies dans les années 2000, cette révolution nous apporte aujourd’hui des possibilités intéressantes de banque en ligne. De bulle en bulle, notre système capitaliste s’améliore.

La crise des « subprimes » est-elle derrière nous ?

Je suis surpris par la volatilité des commentaires. Il y a quelques mois, c’était pire que 1929 et soudain la crise financière est derrière nous. En fait, nous sommes dans un épais brouillard. La crise bancaire n’est pas terminée parce qu’aucune banque ne connaît le montant final des provisions qu’elle devra constituer. Il faudra des années avant de pouvoir faire les comptes avec précision. Il est sûr en tout cas qu’aucune autorité monétaire internationale ne laissera tomber une grande banque. Les marchés boursiers ont applaudi la décision de la Fed de soutenir les établissements financiers américains, ce qu’elle a d’ailleurs toujours fait, et avec force. Le système bancaire mondial ne craquera pas, mais dire qu’il est guéri, non ! La crise n’est pas finie, mais elle n’est pas mortelle.

On est donc loin de la crise de 1929 ?

Les économistes qui comparent les deux scénarios ont la mémoire courte. Dans les années 1929 et 1930, le PIB américain avait perdu 60% de sa valeur ! La situation n’avait rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Nous observons un ralentissement économique américain sans aller jusqu’à diagnostiquer la récession. La croissance mondiale est désormais mieux répartie, tirée par deux locomotives : d’une part l’émergence des pays Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine), et, en particulier, les deux à trois milliards d’Asiatiques qui entrent dans l’économie de marché; et, d’autre part, la révolution technologique, qui a permis par exemple à la Chine de devenir le premier utilisateur de téléphones mobiles. Après cinq années de croissance mondiale à un taux de 5%, il est normal et même nécessaire qu’il y ait ralentissement. Pendant une course de Formule 1, vous êtes contraints de changer vos pneus ou autres équipements au bout d’un certain nombre de tours. Pour la croissance, c’est la même chose. Depuis le début des années 2000, l’excès de liquidités a créé une bulle de crédit dans le monde, et surtout aux États-Unis,que les banques centrales se sont évertuées à éponger sans y parvenir. Dans le même temps, le choc pétrolier a produit ses effets. C’est dans la nature du système capitaliste de produire des bulles et de savoir les corriger.

Êtes-vous inquiet de l’envolée des cours du pétrole ?

La flambée des cours du brut au-delà de 130 dollars, qui s’explique en partie par la baisse du dollar, a été brutale. Les prix du pétrole ont été multipliés par cinq en cinq ans ! Mais toute crise comporte en elle-même ses solutions. Celle-ci permet aux pays non producteurs de prendre conscience de leur trop grande dépendance vis-à-vis d’un petit nombre de pays souvent instables. Il est prématuré d’affirmer qu’il n’y aura bientôt plus de pétrole sur la planète. Mais le monde n’a que trop tardé à réfléchir à des alternatives énergétiques. La France est néanmoins l’un des pays les mieux préparés à ce choc, grâce à la priorité donnée à l’énergie nucléaire. En revanche, l’utilisation de matières agricoles à des fins énergétiques n’est pas une solution, le problème alimentaire de la planète – nourrir près de 10 milliards d’individus d’ici à 2050 – étant loin d’être réglé, comme le montrent les émeutes de la faim.

L’euro fort est-il une menace pour la France ?

Cessons de nous plaindre du niveau de l’euro ! Si le dollar était beaucoup mieux valorisé, les États-Unis iraient plus mal et l’économie mondiale serait menacée. Les grands groupes français, exportateurs, s’en sortiraient moins bien. Nos grandes entreprises réussissent avec brio et leurs performances creusent un écart considérable entre elles qui sont mondiales et le territoire France. N’oublions pas que depuis vingt ans la meilleure performance des Bourses mondiales revient au Cac 40, qui a progressé deux fois plus vite que l’indice mondial MSCI. Cela ne traduit pas la compétitivité de la France mais celle de nos entreprises. Les semelles de plomb qui leur ont été imposées les ont contraintes à s’internationaliser et à devenir de plus en plus compétitives. La Bourse de Paris est parmi les plus internationales : les actionnaires ne sont pas majoritairement français, beaucoup d’usines ne sont pas situées en France et une grande partie du chiffre d’affaires est réalisée à l’étranger. Seuls les impôts des entreprises du Cac 40 sont français ! Et il est bien triste que plusieurs décennies d’incurie gouvernementale aient conduit les talents français, individus et entreprises, à s’échapper de notre pays au lieu d’y faire prospérer les emplois et les richesses.

Est-il opportun d’acheter aujourd’hui en Bourse des actions françaises ?

Actuellement, la valorisation boursière des entreprises est particulièrement basse. Si vous achetez des actions en juin, je ne sais pas si vous aurez gagné de l’argent dès juillet mais il est absolument certain que vous en aurez gagné beaucoup en 2018 ! Depuis deux cents ans, les marchés d’actions progressent plus vite que tous les autres actifs, et montent en moyenne huit ans sur dix.

Comment jugez-vous le territoire France ?

Il est handicapé par la réglementation abusive du travail, l’excès des prélèvements obligatoires, l’insuffisance de la recherche et de l’investissement. Mais je reste optimiste pour l’avenir. La croissance française commence à être mieux portée par l’investissement et les exportations. Les réformes amorcées par le gouvernement semblent aller dans le bon sens. Après vingt-cinq ans de déficit budgétaire, le gouvernement a la volonté de secouer le shaker et de proposer un cocktail visant une réduction des déficits par la maîtrise des dépenses publiques. Il n’y pas de raison pour que la France n’y parvienne pas. On l’ignore souvent, mais même l’Italie surendettée a réussi à afficher un excédent budgétaire « primaire », c’est-à-dire hors charge de la dette publique.

Est-on allé assez loin dans les allégements fiscaux ?

Bien sûr que non, mais on ne peut alléger les impôts sans réduire les dépenses. On a cependant su adresser quelques signes d’encouragement peu coûteux aux contribuables qui désespèrent de notre pays. S’il n’y avait pas eu le bouclier fiscal à 50%, nombre de nos clients, qui avaient préparé leurs valises avant l’élection présidentielle, auraient quitté la France !

Le vieillissement de la population française ne risque-t-il pas de freiner la croissance ?

Nullement ! La France est le pays développé qui connaît le plus faible taux d’emploi des plus de 55 ans. Or, la population française va commencer à manquer d’actifs et certains secteurs ne peuvent satisfaire leurs offres d’emploi. Il est évident qu’il faut travailler beaucoup plus longtemps. À l’exception des travailleurs qui exercent des tâches pénibles.

Propos recueillis par David Victoroff et Marie de Greef-Madelin pour Valeurs Actuelles