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Face au risque terroriste, garder son sang froid

Publié le samedi 17 avril 2004
Interviews

L’inquiétude qui a gagné les marchés financiers n’est pas justifiée, estime Michel Cicurel, l’un des dirigeants de la Compagnie financière Edmond de Rothschild. Explications… et conseils d’un expert chevronné. Une reprise saine se dessine: la Bourse devrait en profiter, dopée par la progression des bénéfices des entreprises. Mais attention, prévient-il : si les actions sont « imbattables » sur le long terme, elles présentent une part de risque contre lequel l’épargnant doit se prémunir.

Quel jugement portez-vous sur la conjoncture ?

La reprise économique mondiale tient ses promesses. Entraînée par la locomotive américaine et le tender asiatique, elle se diffuse jusqu’aux wagons de queue représentés par l’Europe. Il s’agit d’une reprise saine, puisque les prix, les anticipations inflationnistes, et donc le loyer de l’argent, demeurent sages. Les entreprises enregistrent une progression spectaculaire de leurs résultats après trois années de restructurations et d’assainissement financier. Et l’investissement repart, ainsi que progressivement l’emploi. Même si les anticipations sont moins brillantes qu’il y a quelques mois, la conjoncture mondiale est convalescente.

Mais il y a aussi les déficits et la chute du dollar qui en résulte.

Les déficits jumeaux américains (budget et comptes extérieurs) sont considérables, mais beaucoup plus faciles à résorber qu’en Europe. D’ailleurs, la dette de Washington représente moins de 50 % du produit intérieur brut, alors qu’elle dépasse 60 % en Europe. Mais, au lendemain des élections de novembre, les États-Unis n’échapperont pas aux décisions de rigueur et elles pèseront sur les prévisions pour 2005, donc sans doute sur la Bourse cette année déjà.

Face à la multiplication des attentats terroristes en Europe, les marchés boursiers ont réagi avec vivacité ; ils ont reperdu presque tout ce qui avait été acquis depuis le début de l’année…

C’est une situation humaine douloureuse et traumatisante. Mais les économies et les Bourses devront s’acclimater au risque terroriste comme elles l’ont fait avec le risque nucléaire au temps de la guerre froide. Le drame espagnol n’explique d’ailleurs que très partiellement la consolidation des Bourses, qui était légitime après une hausse de 30 % à 50 % en un an, menée principalement par les secteurs spéculatifs les plus touchés par la baisse précédente (technologie, cycliques…).

Cette consolidation va-t-elle durer ?

Après le rebond spectaculaire de 2003, il est normal que l’on reprenne une trajectoire de moyen terme. Prenons du recul : pendant les cent dernières années, les marchés d’actions ont monté en moyenne de 7 % par an. Admettons que ce serait un bon chiffre pour 2004, plutôt que les 15 % annoncés par certains, qui pourtant traduiraient mieux la progression des bénéfices.

Faut-il s’attendre à une plus grande volatilité, en fonction des aléas de la conjoncture ?

Sans aucun doute, car les bonnes nouvelles sont déjà connues. Mais il existe toute une panoplie d’outils qui permettent de prémunir les investisseurs contre les baisses tout en profitant des hausses. On peut assumer le risque car il n’y a pas d’investissement en actions sans risque, à condition d’être immunisé contre les montagnes russes. D’ailleurs, le groupe Edmond de Rothschild a toujours été expert de la « défense active » et pourrait faire sienne la devise de Schumpeter : « Un véhicule peut rouler d’autant plus vite qu’il est équipé de meilleurs freins. »

Quelles valeurs faut-il privilégier ?

Dans un climat de crainte du terrorisme, les sociétés touchant à l’hôtellerie, au transport aérien ou au tourisme sont menacées. Il ne faut pas trop attendre des technologiques, qui ont brillé en 2003 mais réagissent très rapidement aux inflexions du rythme de l’expansion. Revenez donc tout simplement aux valeurs de rendement traditionnelles : vous pouvez obtenir un dividende de niveau comparable au revenu des obligations, la perspective de plus-values en plus. Et je répète que les amortisseurs à la baisse, produits structurés, placements alternatifs, obligations convertibles, conviennent bien à la défense dynamique contre la volatilité.

Le nouveau régime de préparation à la retraite peut-il relancer la Bourse ?

Il est trop tôt pour dire s’il y aura une ruée sur les produits qu’on nous prépare. Je crains le souci gouvernemental d’éliminer le risque à court terme et donc les actions, très performantes à long terme. Rien ne serait pire que de transformer nos systèmes d’épargne-retraite, déjà bien tardifs, en caisses remplies d’obligations destinées à éponger les déficits publics. Au contraire, il conviendrait d’y loger beaucoup d’actions dont une dose suffisante de titres de sociétés non cotées car leurs performances sont remarquables. Ce serait en outre le moyen de dynamiser les entreprises de petite et moyenne taille, créatrices d’emplois. Ce qui manque à la Bourse de Paris et à Euronext, c’est la profondeur des fonds de pension qui ont un horizon d’investissement de trente ans. N’oublions jamais que, sur la durée, les actions sont imbattables.

Faut-il continuer d’acheter des actions françaises ou investir en Europe ?

C’est la même chose ! Les entreprises du CAC 40, dont les titres sont libellés en euros, sont multinationales, leurs marchés, leurs salariés, leurs investissements, leurs profits, leurs actionnaires sont largement hors de France. Sinon, comment expliquer que la Bourse de Paris ait grimpé le lendemain du second tour des régionales ? Il est grave que tant de responsables français mesurent si mal la réalité de notre planète. La France est une petite portion de cette région relativement modeste du monde qui se nomme l’Europe. D’ailleurs, notre région d’investissement préférée reste l’Asie, Japon compris.

Propos recueillis par Michel Garibal pour Le Figaro Magazine