Euronext ne peut se permettre de poser les stylos
Publié le mardi 28 novembre 2006Dans un entretien aux Échos, le président de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild, par ailleurs administrateur de la Société Générale (actionnaire d’Euronext et conseil du Nyse) revient sur le mouvement de consolidation du paysage boursier, incontournable.
Quelle est votre vision sur la consolidation du paysage boursier européen ?
La Bourse reste l’un des métiers de la finance où les gains d’échelle sont les plus évidents, car c’est essentiellement de l’informatique. Pour ma part, j’ai longtemps pensé qu’Euronext pouvait fort bien vivre seul. Mais le paysage évolue, il évolue même très vite. Le Nasdaq a relancé son assaut sur la Bourse de Londres et sept grandes banques internationales ont décidé de créer une plate-forme alternative de négociation. On ne doit pas rater le train en marche. Nous ne pouvons nous permettre de poser les stylos. Nous n’avons que trop attendu.
Mais la consolidation, s’agissant d’Euronext, ne passait-elle pas d’abord par une poursuite du rapprochement en Europe ?
Je comprends que des voix françaises s’élèvent en ce sens. Mais de quoi nous parlons aujourd’hui ? Pour la finance, le périmètre pertinent est mondial. D’ailleurs, les banques d’investissement sont mondiales, les grands fonds de « private equity » sont mondiaux et les Bourses ne le seraient pas ? Ce sont les Chinois qui financent la dette américaine. Du coup, l’épargne américaine s’investit largement en actions européennes. Les Bourses d’Europe continentale n’auraient pas d’actionnaires sans les fonds anglo-saxons. Évidemment, une alliance à trois, comme le propose Henri Lachmann, serait idéale. Mais si Deutsche Börse demeure psychorigide, rien ne sera possible !
En outre, il est vital pour Euronext de parvenir à attirer les émetteurs des pays émergents, surtout la Chine et l’Inde, qui fuient la loi Sarbanes-Oxley (SOX). Certains émetteurs émergents sont gigantesques : ICBC a levé près de 22 milliards de dollars. Or Euronext reste peu connu des Chinois, alors que le Nyse est une marque mondiale. Et la réforme inévitable de SOX ne se fera pas avant deux ou trois ans. C’est le répit que doivent mettre à profit les Bourses européennes. Euronext ne sera en mesure de présenter une offre comparable à la Bourse de Londres, fiancée avec le Nasdaq, qu’en se rapprochant du Nyse.
Ce dernier y a aussi tout intérêt…
Bien sûr, sinon Euronext n’aurait pu obtenir une fusion entre égaux comme c’est le cas dans le projet actuel.
En tant qu’utilisateur, quels avantages pensez-vous tirer du mariage entre Euronext et le Nyse ?
John Thain et Jean-François Théodore espèrent réduire de 35 % leur facture informatique grâce aux synergies. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Euronext dans les années récentes. Il est difficile de prévoir la répartition de ces gains d’échelle entre actionnaires et utilisateurs. Une répartition moitié-moitié me paraîtrait raisonnable. Mais c’est la compétition qui en décidera. La concurrence sera vive entre les Bourses traditionnelles, en cours de consolidation et les futures plates-formes alternatives. Les utilisateurs iront à l’évidence au mieux-disant. Quant aux actionnaires, ceux des Bourses américaines pénalisées par SOX et ceux des Bourses continentales trop isolées, le rapprochement est tout simplement vital.
Les critères de gouvernance ont-ils retenu votre attention ?
Bien entendu. Le dernier pas a été franchi avec le rééquilibrage du conseil d’administration, où les membres des deux rives de l’Atlantique seront à égalité.
Et la représentation des utilisateurs ?
C’est de la démagogie superflue ! De toute façon, le client est roi. Il n’a pas besoin de siéger au conseil pour être présent. Et ce sera encore plus vrai après la mise en place de la directive Marchés d’instruments financiers, qui abolit le monopole des Bourses traditionnelles. L’essentiel est d’avoir la certitude que les émetteurs européens échapperont aux lois américaines, non seulement Sarbanes-Oxley, mais aussi d’autres comme le Patriot Act. Aujourd’hui, je me sens parfaitement rassuré.
Propos recueillis par Christèle Fradin pour Les Échos