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De la poule mouillée au Coq hardi

Publié le mardi 18 janvier 2005
Tribunes

2004 fut l’année de la Chine en France, 2005 sera celle de la France en Chine. Par un curieux hasard, l’année qui commence est celle du Coq. Non du coq gaulois qui chante à tue-tête les pieds dans le fumier, mais du Coq de l’astrologie chinoise, génie de la finance. Se pourrait-il alors que 2005 marque une réhabilitation de la finance, diabolisée depuis que s’est éteint l’âge d’or des vingt glorieuses de la fin du siècle ? 

Dans les derniers mois de l’année qui s’achève, la réapparition des grandes opérations de fusions-acquisitions et l’animation boursière qui s’ensuit pourraient bien être l’amuse-bouche d’un retour à la tendance de long terme des marchés d’actions. Ce serait logique après un cru économique exceptionnel, marqué par la plus forte croissance mondiale depuis trente ans, que la Bourse intimidée n’a pas tout à fait osé saluer comme il convient.

L’année 2004 est la première depuis cinq ans qui tend vers la normale. 1999 et en partie l’an 2000 ont dansé sur l’air de l’exubérance irrationnelle. De la fin 2000 jusqu’au début 2003, le monde a souffert la plus longue et profonde crise boursière de l’après-guerre, emportée par l’éclatement de la bulle technologique, l’enronite, le retournement de la conjoncture économique, le 11 Septembre et les réactions qui l’ont suivi. Dès le printemps 2003 et au début 2004, les marchés ont salué la fin de crise par une belle hausse.

En 2004, la progression des principaux marchés d’actions aux États-Unis, en Europe et au Japon a été de l’ordre de 5 % après inflation. Elle se rapproche donc de sa performance biséculaire de l’ordre de 7 % par an après inflation. Avec peu de variations dans la durée, cette progression de 7 % l’an en volume demeure la norme depuis le début du XIXe siècle et sur l’ensemble des grands marchés. Une telle performance peut sembler pâlotte à ceux qui ont connu les années folles de l’Amérique et de l’Europe ou les brusques émergences de la Russie ou de l’Asie. Mais elle équivaut à un doublement du patrimoine investi tous les dix ans, soit un décuplement pour une génération, et c’est tout de même très spectaculaire. Aucune autre classe d’actifs n’a jamais fait mieux dans la durée, sauf l’investissement dans des sociétés non cotées depuis vingt ans. Et je demeure persuadé que, par rapport aux actions cotées, le plus grand atout du non-coté est d’être illiquide et d’interdire ainsi la versatilité à l’investisseur et au gérant de fortune. Car, face à des marchés volatils, l’impassibilité est une vertu cardinale et la recherche obsessionnelle du timing l’ennemi de la performance dans la durée.

En 2004, le rythme de la croissance mondiale aura atteint un pic historique

On ne dira jamais assez qu’il est fou d’investir en actions autrement que dans une perspective de moyen terme. Comme un appartement qu’on habite et dont on ne veut connaître le prix que le jour où on l’achète et le jour où on le vend, on devrait habiter son portefeuille d’actions.

Je tenais à rappeler ces vérités simples à l’aube de 2005 dont chacun s’accorde à dire qu’elle est une année à faible visibilité. Le rythme de la croissance, le pétrole, le dollar, les taux d’intérêt se sont déjà chargés de coiffer la hausse des marchés d’actions et de fortifier l’aversion au risque. Le niveau des cours, de l’avis unanime, ne rend pas suffisamment compte de l’explosion des profits, de l’assainissement des bilans, de la générosité des dividendes comparée à la faiblesse du loyer de l’argent. À l’exception des États-Unis, la prime de risque atteint ses records historiques. On dirait que le climat de fin du monde, le fameux millénarisme, ayant épargné l’an 2000 pour laisser la fête économique et financière battre son plein, prend désormais sa revanche. Aujourd’hui, le monde est dominé par la peur.

Rien ne justifie, me semble-t-il, une telle anxiété. Bien plus qu’une anticipation objective de l’avenir, cette inquiétude est une queue de comète de la terrible crise boursière dont les plaies ne sont pas encore refermées. En 2004, le rythme de la croissance mondiale aura atteint un pic historique. Certes, en 2005, la croissance américaine s’infléchira, retrouvant sa tendance de moyen terme de 3,5 %. De ce fait, la Chine, le Japon, l’Allemagne, tirés par la locomotive américaine, progresseront plus modérément. Mais on ne peut pas à la fois déplorer l’assagissement du taux de croissance et redouter la hausse des prix du pétrole, la dégringolade du dollar et la remontée des taux d’intérêt. Il serait logique cette année que les paramètres de marché deviennent plus calmes et ne dérapent pas tous en même temps. Il est téméraire de risquer une prévision chiffrée sur les Bourses en 2005. Mais il est facile de montrer que les marchés d’actions restent attrayants parce que, mathématiquement, tous les drames ne peuvent pas se produire en même temps et les taux d’intérêt demeurent particulièrement bas.

Or, telle est précisément la situation qui devrait commander la hausse des Bourses (…). Même si toute prévision boursière est par définition hasardeuse, je me risque à un pronostic optimiste non pas nécessairement pour l’immédiat mais pour les années à venir. Pourquoi ?

Parce que les tendances lourdes des marchés d’actions sur les dix ans à venir sont assez certaines. La croissance potentielle mondiale, la seule qui intéresse les marchés dans une économie devenue globale, dépend de la population active et de la productivité. La découverte du travail moderne par un tiers de la population active mondiale est un prodigieux réacteur de croissance qui s’allume. Quant aux progrès de productivité générés par la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, ils ont irradié l’économie américaine, mais restent confidentiels en Europe, et inconnus des pays émergents d’Europe orientale, d’Asie et d’Amérique latine. Ce fameux cycle de forte croissance mondiale, dit de Kondratieff, que les économistes nous annoncent pour les prochaines décennies, est donc amorcé. Les entreprises globales, qui commandent la tendance des grandes bourses occidentales, sont à l’orée d’une nouvelle frontière fabuleuse. Il faut donc acheter et garder des actions dans les années à venir, sans trop se laisser distraire par l’écume des jours de Bourse.

Il est parfois frustrant de penser que certains grands fonds d’actions ont très fortement progressé en 2004 et que telle n’est pas la performance obtenue par la plupart des particuliers qui confient la gestion de leur patrimoine à des professionnels. Mais personne ne peut ignorer l’aversion au risque de l’ensemble de la planète, ni les investisseurs ni ceux qui les conseillent. Les investisseurs avisés savent bien que la performance d’une gestion dynamique se joue dans la durée. Il faut que les professionnels aient le courage de persévérer dans leur conviction lorsqu’elle est dictée par les fondamentaux porteurs de l’économie mondiale. Il faut cesser d’entretenir une délectation morose qui relève plus de la course à l’audimat que de la description désintéressée des réalités de ce monde. Il faut, en 2005, que les audacieux de 2004 s’entêtent et que les timides reprennent goût au risque de façon avisée et mesurée car il n’y a pas de performance sans risque. Bref, dans notre basse-cour européenne il faut moins de poules mouillées et plus de coqs hardis. Et c’est un maniaque de la prudence qui vous le dit.

Tribune publiée dans Le Figaro