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Sortie de crise en eaux troubles

Publié le jeudi 14 janvier 2010
Tribunes

Après plus de deux ans de tempête, un arc-en-ciel vient traverser cette terrible crise. On sait que rien n’est sûr, mais on commence à dire que le pire ne l’est certainement pas. On essaie, avec toutes les lettres de l’alphabet de lire la sortie de crise qui reste indéchiffrable.  Quelle boussole saura lui indiquer le cap, alors qu’une inversion des pôles nous a fait perdre le Nord ? Il y a un an, l’Apocalypse était invraisemblable parce que les États et banques centrales ne pouvaient laisser se reproduire la crise des années 1930. Lehman fut l’exception confirmant la règle. Mais un an plus tard, tous les pôles sont inversés.

Les trop grandes banques, surtout américaines, ont encore grandi après absorption de leurs malheureuses consœurs. Hier, trop grandes pour faire faillite, elles deviennent aussi trop grandes pour être maîtrisées par leur direction et leurs autorités de tutelle, et peut-être trop grandes pour être sauvées par des États désormais exsangues.

Des états guettés par le syndrome japonais

Car les États, garants ultimes, se retrouvent sous surveillance des agences de notation financière. Très peu d’États sont réellement menacés de défaut. Mais tous les États développés sont guettés la ruée vers l’épargne de peur que l’État surendetté ne recoure à la rigueur et aux prélèvements. Et sans la confiance du consommateur, la croissance des nations riches devient anémique.

Quant aux banques centrales, qui ont servi, avec les États, de système bancaire de secours, elles sont en petite forme. Bilans gonflés de produits toxiques et de dette souveraine devenant suspecte. Déluge de liquidités pour interrompre l’incendie, perçues par les agents économiques comme monnaie de singe. D’ailleurs si l’or flambe, ce n’est pas par anticipation inflationniste, mais en raison de la suspicion envers les grandes monnaies. Et en cas d’urgence, les banques centrales sont au taquet puisqu’on ne peut abaisser les taux en deçà de zéro.

« La poussée de l’Asie émergente et les technologies du numérique, puis de l’écologie sont les puissants moteurs d’une croissance mondiale dans les décennies à venir »

En somme, pour éviter le risque de dépression mondiale, nous aurons, légitimement, accentué les dérives génératrices de la crise. Les grandes banques devenues gigantesques. Les États occidentaux laxistes priés au nom de la vertu de dépenser sans compter. Les banques centrales ayant inondé l’économie mondiale après la crise d’Internet, contraintes d’inonder plus massivement encore. En ce début 2010, l’économie mondiale est certes en reprise, mais sous « ventilation artificielle ». En cas de rechute, plus aucun recours : l’artiste travaille sans filet. On ne doit compter que sur l’amorce d’un cercle économique et financier vertueux restituant ses droits à l’économie de marché.

Chefs d’orchestre d’une symphonie inachevée

Pour ce faire, la concertation internationale tente de se frayer un chemin entre les progrès de la régulation et la rééducation des mécanismes de marché. Mais les chefs d’orchestre de la sortie de crise savent parfaitement qu’ils conduisent une symphonie inachevée. Dans cette crise inédite, on doit constamment improviser. Chacun sent bien que le hasard va guider la route et qu’il va falloir piloter à vue. Industriels, banquiers, assureurs, commerçants, investisseurs, responsables politiques, écoutez la voix du bateau ivre déboussolé : « Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots. » Point de dogme, point de masse, point de raideur.

Le devoir d’incertitude s’impose. Et celui de souplesse, de réactivité, d’attention. Au tapis Citicorp, AIG, General Motors, Goliaths de l’hyperpuissance mondiale ! La grande, devenue encore plus grande, devra s’efforcer d’avoir tout d’une petite. Mais il faudra aussi, comme des grandes, que les petites divisent leurs risques.

Car le risque se cache désormais partout. Gare aux faux abris en cette étrange période où tant de sécurités n’en sont pas. Quand le monde se métamorphose, il sème côte à côte champs de mines et champs de fleurs qu’il faut savoir traverser sans dommages mais aussi sans regrets. Tour à tour lièvre et tortue, tactique et stratégique. Bouger vite pour survivre au présent. Scruter loin, pour fabriquer l’avenir.

Après les tumultes de cette énigmatique sortie de crise, les nouveaux ferments de création de richesses ouvriront une voie royale. Pour l’économie mondiale, ce chaos est fondateur d’un nouvel âge d’or qui s’annonce. Certes, l’océan de liquidités fabriquera bulle après bulle, qu’il faudra deviner, épouser, et quitter avant qu’elles n’éclatent. Mais avec des bulles on sait faire du champagne pourvu qu’on soit assembleur de talents. Certaines bulles ne sont jamais que d’impatients hommages rendus par anticipation à des réalités futures. Car il y a aussi de bonnes bulles annonciatrices d’avenir.

L’explosion des bulles de ce siècle, celle de l’Internet, ou celle du crédit initié par la complicité sino-américaine, ou encore celle de l’urgence écologique à Copenhague, ne changent rien à la vague de fond : la poussée de l’Asie émergente et les technologies du numérique, puis de l’écologie sont les puissants moteurs d’une croissance mondiale assurément brillante dans les décennies à venir. Bien entendu, pour qui veut emprunter cette voie, il n’est nulle opportunité sans risque. Mais en ce début d’accalmie, où bien des périls demeurent, chacun doit s’en convaincre : le plus grand risque est de ne pas en prendre.

Tribune publiée dans Le Figaro