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« Si l’État ne se réforme pas, il finira en compote »

Publié le vendredi 31 janvier 2003
Interviews

Pourquoi, en France, l’État est-il incapable de se réformer ?

On a commencé à parler de réforme de l’État au début des années 80, après les deux chocs pétroliers. Résultat, en trente ans, son poids n’a fait que croître et dépasse maintenant 50 % du PIB, proportion exceptionnellement élevée. Pendant ce temps, les autres ont bougé. Et pas seulement les États-Unis de Ronald Reagan ou la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher. De la Suède à l’Italie, en passant par l’Espagne ou le Canada, tous les pays ont réformé leurs administrations. Tous sauf un, la France.

Pourquoi cet immobilisme ? À cause de la toute-puissance des syndicats ?

Tout au contraire. Les syndicats ne représentent que 9 % des fonctionnaires. C’est cela, le drame. Marginaux et divisés, pour accroître leur influence, ils se livrent à une surenchère permanente et s’installent dans la démagogie. Pour réformer, mieux vaut avoir en face de soi un syndicat puissant.

Les politiques sont restés en retrait…

Depuis vingt ans, les gouvernements, gauche et droite confondues, et la classe politique ont fait preuve d’un manque de courage évident. Il y a bien eu l’exception Juppé. Mais c’est la démonstration par l’absurde de l’impossibilité de la réforme.

Les citoyens ne bougent pas non plus…

Ils râlent quand ils subissent les grèves fréquentes de la fonction publique. Sinon, rien. Leur passivité a selon moi une raison profonde. Les citoyens ne se rendent pas compte qu’ils paient l’inefficacité de leur État. Car, chez nous, l’impôt est relativement indolore. La grande masse des rentrées fiscales provient de la TVA et de la Tipp (taxe sur les carburants), que l’on paie sans s’en rendre compte. Quant à l’impôt sur le revenu, il ne fait « souffrir » que 10 % des contribuables, dont tous les Français se fichent !

La situation est désespérée…

Pas complètement, car il y a l’Europe. Sans contrainte extérieure, la France serait restée un État médiéval. À l’avenir, la compétitivité des nations dépendra de plus en plus de la compétitivité des États. Les batailles économiques se gagnent à l’arrière, même si les médailles sont décernées aux soldats du front, autrement dit aux entreprises exportatrices. En plus de cela, une contrainte intérieure va s’exercer sur la fonction publique.

Laquelle ?

Dans les dix ans qui viennent, 50 % des fonctionnaires, soit l’équivalent des effectifs de l’Éducation nationale, vont partir à la retraite. Comme la population active diminue, on ne pourra les remplacer tous (on le voit déjà pour les infirmières). Donc, il faudra que les fonctionnaires puissent travailler plus efficacement, ce qui suppose une meilleure organisation de l’État. Ce grand chamboulement ne pourra se faire qu’en les intéressant, y compris financièrement, aux réformes. En tout cas, si rien n’est fait, dans dix ans, l’État finira en compote. Et les fonctionnaires seront payés au lance-pierre. Je ne suis pas sûr que les fonctionnaires aient bien compris qu’ils seront les premières victimes de l’immobilisme.

Peut-on réformer l’État si Bercy ne bouge pas ?

Non ! Le ministère des Finances doit donner l’exemple, car il exerce la tutelle sur toutes les autres administrations et reste la référence de l’excellence. La réforme tombe sous le sens et ne doit pas continuer de buter contre un excès de corporatisme. Après tout, il s’agit de service public !

Propos recueillis par Patrick Bonazza pour Le Point