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Savoir ne pas vendre

Publié le samedi 6 février 1999
Interviews

Comment expliquer la volatilité actuelle des marchés ?

La vraie raison, c’est la financiarisation de l’économie mondiale. Le rapport entre le montant des liquidités et le niveau de la production mondiale ne cesse d’augmenter. Le mouvement est régulier depuis vingt ans, même s’il s’est accentué ces deux dernières années. Il est donc structurel et irréversible : la moindre nouvelle, bonne ou mauvaise, engendre un déplacement d’une masse toujours plus grande de capitaux. La volatilité, c’est-à-dire les oscillations de marché, ne cesse de croître.

 Il faut en tirer les conséquences. Les particuliers ont peur et cela les amène, quand ils gèrent seuls leur portefeuille, à faire le contraire de ce qu’il faudrait faire : acheter au son du violon et vendre au son du canon. Il faut avoir le sang-froid de ne pas bouger. Une montre arrêtée a raison deux fois par jour alors qu’une montre en mouvement peut avoir toujours tort. Les professionnels ne font pas mieux parce qu’ils ont des « tuyaux » avant les autres, comme le croient souvent les individus, mais souvent parce qu’ils ont des nerfs plus solides et des règles de comportement plus rationnelles. Aussi faut-il leur confier la part de patrimoine qu’on n’est pas prêt à perdre pour s’offrir le luxe de s’amuser en Bourse.

Comment voyez-vous l’année 1999 ?

Ma conviction est que les marchés actions sont structurellement orientés à la hausse car ils sont tirés par l’entrée de nouveaux secteurs dans l’ère de la consommation de masse. Les nouvelles technologies de communication et la santé sont les principaux moteurs de ce cycle qui, selon le célèbre économiste Kondratieff, dure trente ans.

Il faut, dans ces conditions, investir en actions ?

Avant toute chose, il faut se livrer à un diagnostic de sa situation personnelle, définir ses objectifs. Je ne conseillerai pas à une personne retraitée qui compte sur son épargne pour payer son loyer, d’investir en actions. Il y a trop de trous d’air. Les actions sont le meilleur investissement patrimonial à moyen terme, si l’on est capable de supporter financièrement et psychologiquement les perturbations à court terme. Il faut « habiter » son portefeuille d’actions comme son habitation principale, sans se demander chaque jour combien elle vaut, et ne se poser cette question qu’au moment où l’on veut vendre.

Le dollar est à son plus haut, témoignant des bons résultats de l’économie. Est-ce à dire que les experts se sont une nouvelle fois trompés sur le ralentissement de l’économie américaine ?

Tous les conjoncturistes se sont trompés depuis plusieurs années sur l’évolution de l’économie américaine. En grande partie parce qu’ils s’appuient sur des indices industriels alors que l’industrie ne représente plus outre-Atlantique que 10 à 15 % du PIB. L’économie américaine est totalement dans l’ère post-industrielle. Cela suscite des débats universitaires sur l’émergence d’une « new economy » échappant aux cycles traditionnels de l’économie industrielle mais n’a pas encore eu de conséquences sur la construction d’indicateurs avancés de l’activité aux États-Unis.

Il n’y a pour le moment aucun signe de ralentissement économique. La légère remontée des taux longs américains est le signe que le marché craint que la situation de plein emploi n’entraîne des tensions sur les coûts salariaux. La Fed pourrait décider, à titre préventif, une remontée des taux courts mais il ne faudrait pas qu’elle rompe le cercle vertueux de la croissance économique stimulée par l’effet de richesse lié au niveau de la Bourse. Le principal risque qui existe aujourd’hui dans l’économie mondiale serait une baisse forte de la Bourse américaine, suffisamment durable pour influencer les comportements d’épargne des Américains. Mais je ne vois pas de raison aujourd’hui, autre qu’une erreur de politique monétaire, pour que cet équilibre vertueux soit modifié.

La baisse de l’euro face au dollar menace-t-elle l’Europe ?

Au contraire ! Les Français ont la manie de s’inquiéter d’une chose puis de son contraire. La compétitivité de l’euro est la meilleure nouvelle que la zone pouvait connaître pour sa naissance. Elle aide toutes les économies latines à respecter les critères de convergence. Je ne crois toutefois pas que le mouvement de baisse va s’accentuer. L’euro est par définition une monnaie forte, simplement parce que son sous-jacent est l’euroland.

L’Europe est-elle assez forte pour résister à l’effet de contagion de hausse des taux si elle persistait outre-Atlantique ?

L’intérêt de l’Europe, en situation chronique de sous-emploi, n’est pas d’augmenter les siens mais de les diminuer même si ce n’est pas la seule réponse au problème du chômage.

La reprise en Asie peut conforter la Fed dans sa volonté de relever les taux ?

Ce serait le cas si la reprise avait un impact sur le prix des matières premières. Ce n’est pas encore d’actualité. D’autre part, le pays le plus important de la zone, c’est le Japon. Et je ne perçois là-bas aucun signe sérieux de retournement de conjoncture.

Croyez-vous à la création de fonds de pension ?

Cela fait plus de vingt ans qu’on les attend. C’est malheureusement typiquement un projet auquel tout gouvernement peut renoncer sans faire de dommages visibles immédiats. Et pourtant c’est catastrophique pour le pays.

Quelles conditions faudrait-il pour qu’ils soient un succès ?

Que l’avantage fiscal soit significatif et non plafonné, qu’ils soient à dominantes actions et puissent accueillir une part de capital risque.

Le mouvement de délocalisation des patrimoines vous paraît-il inquiétant ?

Il l’est. Il a d’abord touché des patrimoines constitués et des gros. Il concerne maintenant des patrimoines en cours de constitution et s’accompagne d’une fuite de cerveaux et des entreprises qui les abritent. Le phénomène me paraît installé et assez irréversible. Il faudrait un changement profond du système fiscal français et des pratiques administratives pour renverser la tendance. Je n’y crois pas, d’autant que les gouvernements ont toujours considéré ce mouvement comme un non-problème et n’ont jamais essayé de l’enrayer.

L’harmonisation européenne se traduira-t-elle par une baisse de la pression fiscale. Ne faut-il pas attendre ?

Nous pouvons avoir une baisse en France car nous sommes un des pays où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés. Reste que l’Europe continentale est surtaxée par rapport au reste du monde. Cela tient à l’adoption d’un modèle de type socialiste dit « modèle européen » dont il ne sera pas facile de sortir à supposer qu’on en ait la volonté. Paradoxalement, l’euro protège la survivance du modèle. Je ne crois donc pas à une baisse spectaculaire de la pression fiscale.

L’immobilier repart ! Faut-il succomber à la tentation ?

Oui car même si une partie du chemin a déjà été faite, il reste des plus-values latentes à réaliser. Les rendements attendus sont encore bien supérieurs au coût de l’argent à dix ans. La meilleure façon de résister à une tentation est d’y succomber, dit le poète.

Propos recueillis par Laurence Allard dans Le Figaro