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Compétitivité : n’oublions pas le message de Raymond Barre

Publié le mercredi 29 août 2007
Tribunes

S’il fallait résumer d’un trait le message laissé par Raymond Barre, je choisirais l’exigence de compétitivité. Cet éminent agrégé d’économie, devenu homme d’État, avait compris depuis longtemps que la mondialisation était en marche. Il expliquait parfois qu’un Français né à la Réunion, face à l’océan Indien, ne pouvait avoir une vision strictement hexagonale de l’avenir de la France. Il était fier de notre pays, non pas de celui qui se replie frileusement derrière les barreaux de nos frontières, mais de cette grande nation à vocation universelle, qui fréquente volontiers le monde et contribue à le faire progresser.

La compétitivité, chez lui, allait bien au-delà de la sécheresse du théorème des avantages comparatifs : c’était une initiation à l’humanisme planétaire. Il pariait toujours sur l’intelligence des Français de base et il leur parlait vrai, persuadé qu’il n’est pas de mauvais élèves avec un bon enseignement. Ce dont il voulait les convaincre était la version contemporaine, donc mondialisée, de la fameuse « intendance » du général de Gaulle : non compétitive, la France s’éteint.

Rarement ce grand message de Raymond Barre aura été si nécessaire. En effet, la situation française présente ressemble à s’y méprendre à celle de la fin des années 1970. La sévère dégradation de notre compétitivité est à l’origine de tous nos maux, car le manque à gagner de croissance (le fameux point de croissance !) explique un haut niveau de chômage, le montant insupportable des déficits publics et de la dette qu’ils entretiennent, malgré un taux encore élevé de prélèvements obligatoires, et la complainte sur le pouvoir d’achat, d’autant plus respectable que la consommation reste notre seul moteur de croissance, à condition de consommer français.

Mais, dira-t-on, du temps de M. Barre, la compétitivité n’était pas gâchée par l’euro. Cet euro « surévalué », que la BCE ne cesse de fortifier par des hausses de taux « dogmatiques » ! Eh bien, parlons-en de l’euro ! Raymond Barre, contrairement à la légende, n’a jamais défendu le franc fort, mais le franc stable. Car une monnaie volatile ne permet pas de commercer durablement avec ses partenaires étrangers. Une parité stable, c’est le point fixe d’un échange commercial ordonné. Or, l’essentiel de nos échanges commerciaux se fait avec nos partenaires de la zone euro. Et c’est surtout avec eux que se creuse notre déficit extérieur, qui tend vers un record de 30 milliards d’euros en 2007. La monnaie européenne n’est donc en rien responsable de notre perte de compétitivité.

Mais, au-delà du débat technique sur les bienfaits d’une monnaie stable, le message de M. Barre allait en profondeur. Il expliquait que les « paradis artificiels » de la dépréciation monétaire ne pouvaient en aucune façon remplacer l’exigence de compétitivité, cette gymnastique totale qui assure la bonne santé de l’ensemble du corps économique, qu’il invitait la France à pratiquer assidûment.

La compétitivité comme discipline de synthèse, un peu comme ces fameux « benchmarks » qu’utilisent les entreprises. Une discipline pour les entreprises, grandes, moyennes et petites, qui affrontent la concurrence internationale, mais aussi une exigence pour l’économie tout entière. Compétitivité fiscale (Barre avait écarté l’imposition du capital), universitaire (il n’a cessé de pleurer la dégradation de notre enseignement supérieur), scientifique (il se désolait de la condition de nos chercheurs), étatique (car l’État providence aussi doit être compétitif). Ainsi Raymond Barre l’aura expliqué sans relâche : la compétition économique mondiale se joue à l’arrière autant que sur le front. Il n’existe pas de secteur protégé de la concurrence internationale.

Raymond Barre était-il libéral ou dirigiste ? Économiste bien trop averti pour croire à la vertu des dogmes, le seul credo sur lequel il n’a jamais transigé, c’est la compétitivité. Il avait confiance dans le talent de la France et des Français. Il rêvait de voir son pays se mesurer sans artifice avec ses plus redoutables concurrents. Il souffrait de voir nos meilleurs esprits fuir l’Université française, nos meilleurs créateurs d’entreprise, sportifs, artistes, choisir l’exil fiscal une fois fortune faite. Il lui était douloureux de mesurer l’écart croissant entre notre territoire national affaibli et nos grandes entreprises brillant sur la scène mondiale. Il a rêvé cette compétitivité totale qui rendrait à la France son rang dans le concert des nations. Et puisqu’il l’a rêvée, faisons-la !

Tribune publiée dans Les Échos