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Réconcilions le financier et le savetier

Publié le vendredi 13 juillet 2007
Tribunes

La France et le capitalisme, c’est le rendez-vous du soleil avec la lune. Fille aînée de l’Église, héritière de Colbert et complice de ses terres agricoles plus que de ses mers commerçantes malgré 3 200 km de littoral, la France n’est pas naturellement portée vers le capitalisme. Ainsi, notre pays se convertit péniblement à l’économie de marché, mais persiste à condamner le libéralisme, forcément « ultra », et le capitalisme, fatalement « sauvage », alors que le socialisme serait « démocrate ».

Cause ou conséquence de cet ADN bien français, il n’existe plus vraiment de capitalisme en France. Non pas seulement en raison de l’émigration fiscale. Mais parce que le CAC 40 est dans les mains des fonds de pension anglo-saxons et le nombre d’actionnaires de sociétés cotées en France stagne entre 5 et 7 millions depuis un quart de siècle. Il est quand même curieux que la France ait laissé aux investisseurs étrangers le bénéfice de sa Bourse qui a fait mieux depuis 20 ans que toutes ses concurrentes !

Tandis que nous boudons la démarche capitaliste, en moins de vingt ans, la planète s’y est convertie. À ce jeu, la Chine ou l’Inde commencent à jouer gros et fin. L’Inde chez Arcelor, la Chine chez Blackstone ou les Émirats chez EADS ne sont que l’apéritif du festin capitaliste que se préparent les pays en excédent de balance des paiements, les vendeurs de pétrole, de matières premières, de biens industriels ou de services.

Depuis deux siècles, la surperformance des actions, 7 % par an en moyenne après inflation, est écrasante, et le non coté accentue encore l’écart. La mondialisation a creusé le précipice entre les actionnaires et les autres, car l’ouverture des pays émergents accroît la rentabilité des entreprises en coiffant les rémunérations de nos salariés. L’écart entre les rémunérations des cadres dirigeants, détenteurs de stock-options, et celles des salariés de base a explosé en vingt ans.

« Il est curieux que la France ait laissé aux investisseurs étrangers le bénéfice de sa Bourse qui a fait mieux depuis vingt ans que toutes ses concurrentes ! »

Aux yeux de l’opinion, le capitalisme mondial est encore plus intolérable dans sa dérive financière. On veut bien accepter les profits lorsqu’ils sont, comme le disait le socialiste Helmut Schmidt, les investissements de demain et les emplois d’après-demain. De même, on peut tolérer les réductions d’effectifs qui sauvent l’entreprise, non les « licenciements boursiers » soupçonnés de répondre à la cupidité des actionnaires. Les entreprises cotées qui créent de la plus-value financière par le rachat de leurs propres actions ou le jeu des fusions-acquisitions suggèrent le fonctionnement en vase clos et le parasitisme.

En somme, ce que voient les Français du capitalisme mondial a tout pour être odieux. De grandes entreprises qui produisent et vendent à l’étranger, détenues par les futurs retraités américains. Nos 200 familles et leurs enfants dirigeants, détenteurs de stock-options. Des salariés non qualifiés réduits au chômage par les délocalisations.

Et ce qu’ils ne perçoivent pas, ce sont les immenses bienfaits de la mondialisation pour les peuples des pays les plus riches : importations de biens à bas prix, ouverture des marchés émergents, épargne considérable de ces nations fourmis qui abaisse notre loyer de l’argent…

Il me semble qu’acclimater la France au capitalisme mondial devrait être une ambition d’union nationale de même importance que la réhabilitation du travail ou la réduction de la dette publique.

Que faire ?, comme disait Lénine. Les bonnes pistes ont un même fil conducteur : il ne faut pas moins de capitalisme, mais plus de capitalistes.

L’allergie populaire au capitalisme mondial n’est pas une exception française. Selon l’OCDE, la France partagerait avec les États-Unis cette réaction. Mais l’accès très large des classes moyennes américaines aux marchés d’actions, apaise les rancœurs. La France, comme nombre d’autres pays d’Europe continentale, doit rattraper son retard sur ce point. Le climat est propice : après vingt ans de baisse des taux longs, l’avenir est désormais aux produits actions. Un accès massif des Français aux actions est à portée de main.

Plutôt que de pleurnicher sur l’absence de fonds de pension, il faut encourager cette version française de la retraite par capitalisation, l’assurance-vie, à s’investir en actions cotées et non cotées.

Plutôt que de geindre sur la volatilité des marchés d’actions, il faut diffuser bien plus largement les techniques de dérivés, où la France excelle, qui permettent de discipliner les caprices inévitables de la Bourse.

Plutôt que d’incriminer la myopie des marchés financiers, il faut encourager le private equity qui accompagne les entreprises plus longtemps, fait équipe avec un management intéressé au capital, et finalement crée de la valeur et des emplois.

Plutôt que d’émasculer les stock-options ou les actions offertes aux managers, il faut encourager leur extension à un plus grand nombre de collaborateurs.

Plutôt que de contraindre nos capitalistes nationaux à l’exil, il faut les inviter à investir utilement sur notre territoire.

Plutôt que de diaboliser les intermédiaires financiers, il faut les encourager à l’autosurveillance.

Les Français ne sont pas fâchés avec l’argent : ils sont légitimement furieux quand l’argent des autres leur est interdit d’accès. Nous pouvons très vite réconcilier le peuple avec le capital, le territoire avec le monde, la finance avec l’économie, bref le savetier avec le financier, n’en déplaise à notre Jean de La Fontaine national.

Tribune publiée dans Le Figaro