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Les pays émergents et les technologies de l’information vont tirer l’économie avec une puissance extraordinaire

Publié le vendredi 15 février 2008
Portrait

Il aurait pu être cinéaste ou peintre. En pleine « nouvelle vague », il a décroché un prix à Cannes pour un court-métrage réalisé avec son frère. Et au chapitre des regrets, il avoue celui de ne pas avoir été peintre. Sous son air d’éternel séducteur, Michel Cicurel, le patron de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, ne correspond pas exactement à l’idée que l’on se fait du banquier de grandes fortunes. Cet énarque iconoclaste, ancien de la Direction du Trésor, a fait ses classes à La Compagnie bancaire en lançant Cortal qui, grâce à son compte rémunéré, a secoué le monde de la finance il y a une vingtaine d’années.

Une apparence trompeuse, car, en parfait confident des grandes fortunes, Michel Cicurel sait cultiver la discrétion. Mobilier anglais, Chesterfield, le bureau du patron de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild n’est pas celui dans lequel s’affichent volontiers les grands banquiers, souvent adeptes aujourd’hui d’un design plus froid. Son bureau joue sur une note intimiste. Avec des photos de famille, traces de moments heureux partagés avec son épouse et ses deux fils, mais aussi des souvenirs professionnels. Là, les patrons de la maison apparaissent juchés sur des chevaux de bois au Musée des arts et traditions populaires ; un peu plus loin, c’est le team de la maison qui s’affiche sur le circuit de course automobile de Dijon. Les deux taureaux en bronze qui trônent sur la cheminée symbolisent, eux, un marché boursier en hausse.

Oublier le court terme

Les actions, Michel Cicurel y croit, et pour tout le monde : « On dit souvent que les actionnaires s’enrichissent sur le dos des autres, mais les premiers actionnaires doivent être les salariés. » Il estime au passage que les actions gratuites doivent être distribuées largement, mais pas les stock-options, qui ne sont pas adaptées aux revenus modestes. « Tous les salariés ne peuvent pas prendre les risques des stock-options, qui, contrairement à ce que l’on croit, sont plus risquées que les actions gratuites. » Il évoque un autre levier pour pousser les ménages vers les actions, celui de l’assurance-vie, le placement préféré des Français jugé investi à trop court terme. Et veut relancer l’idée d’« un système de retraite par capitalisation, une des meilleures façons d’associer le grand public aux actions ». Convaincu qu’« il existe une vraie muraille de Chine entre ceux qui sont investis en actions et ceux qui ne le sont pas » dans un monde globalisé où les salaires progressent moins, il regrette que la France n’ait pas plus d’actionnaires. « Ce sont les retraités américains qui ont profité des performances du CAC 40, dont la progression a été beaucoup plus rapide que celle des autres Bourses mondiales. » Le vrai défi aujourd’hui, c’est d’associer les salariés à la croissance des marchés, car « les différences de patrimoine entre ceux qui ont des actions et ceux qui n’en ont pas vont s’accentuer ».

Et ce n’est pas la tempête boursière du début 2008 qui change ses convictions. Cette tempête, le président de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild l’attendait de pied ferme, lui qui lançait il y a un an : « La finance danse sur un fil.» Il regrette ainsi que « les particuliers lorsqu’il y a un krach se disent qu’ils ont bien fait de ne pas avoir investi en actions, mais c’est faux ». C’est ce que les économistes appellent l’« effet Matthieu » : celui qui est riche le deviendra encore plus, celui qui est pauvre le deviendra davantage. Pour éviter cette fatalité, Michel Cicurel martèle que les actions sont le meilleur placement à long terme et qu’il faut oublier le court terme.

La première crise globale

Les particuliers doivent apprendre à être patients. Historiquement sur dix années, les actions affichent huit années de hausse et deux de baisse. « Mais il faut être investi tout le temps, car on ne sait pas quand ça va baisser, et ne pas s’évertuer à entrer et sortir. La valeur de son portefeuille, comme celle de son appartement, on la regarde quand on achète et quand on vend, mais pas tous les jours. »

Il compare la Bourse au… téléphérique de l’aiguille du Midi. La cabine peut jouer au yo-yo dans certains passages, mais celui qui descendrait en marche perdrait toute chance de se retrouver au sommet. Ce qui serait dommage aujourd’hui ; car, au-delà d’une année 2008 difficile à prévoir, l’environnement est favorable aux actions. «La Bourse est liée à la croissance économique et dans les décennies qui viennent, la croissance sera forte. Le marché des actions n’a jamais été aussi prometteur à long terme », lance Michel Cicurel.

Certes, 2008 ne sera pas un grand crû pour les actions. «Je parie sur un très fort ralentissement américain, peut-être même une récession, mais les États-Unis réagissent en utilisant trois armes de construction massives, politique monétaire, budgétaire et de change. Ces trois armes sont enrayées en Europe et donc la croissance y restera moindre à terme même si les banques françaises et européennes vont mieux que leurs consoeurs américaines », remarque-t-il.

Au fond, même une récession américaine ne change pas fondamentalement la donne. De nouvelles locomotives émergentes prennent le relais, notamment la Chine et l’Inde. «Les pays émergents ont réalisé les deux tiers de la croissance mondiale des deux dernières années. Ils vont tirer l’économie avec une puissance extraordinaire, tout comme les technologies de l’information, dont la véritable révolution est encore devant nous.» Cette nouvelle carte de l’économie planétaire, Michel Cicurel la considère comme une formidable chance pour les entreprises et pour les investisseurs qui sauront la saisir. «Mon pari, c’est que la demande interne en Inde et en Chine va tirer la croissance mondiale, les États-Unis n’étant plus la seule locomotive. Le paysage économique est beaucoup plus équilibré qu’il y a dix ans.» Michel Cicurel se dit au passage « époustouflé » par la vitesse à laquelle les Chinois apprennent l’économie de marché. « Ils ont compris qu’il fallait des relais internes à la croissance chinoise. Il y a déjà 73 millions d’actionnaires en Chine et, dans quelques années, il n’y aura plus de ruées meurtrières dans les supermarchés comme récemment parce qu’un bidon d’huile était en promotion. »

Dans ce monde qui bouge, La Compagnie financière va vite. En 2007, les encours sous gestion ont progressé de 15 % à 30 milliards d’euros et la collecte nette globale a atteint 2,7 milliards d’euros. Au cours des dix dernières années, les actifs gérés ont augmenté d’environ 20 % par an. Michel Cicurel a le triomphe modeste. «En période de crise, les maisons comme la nôtre sont souvent gagnantes, nous avons une taille optimale, avec des gérants qui se sentent chez eux et sont facilement associés à la création de valeur ». Aucune croissance externe n’est prévue en Europe, mais cela pourrait être le cas à l’étranger.

Le nom Rothschild fait toujours rêver. En 2007, ce beau nom a tenu son rang grâce aux « performances des portefeuilles investis de manière significative en multigestion alternative et en actions émergentes ». Le modèle de La Compagnie Financière, maison indépendante dont l’actionnaire majoritaire est Benjamin de Rothschild, fonctionne bien. Elle gagne année après année de nouveaux clients tant en gestion privée qu’en asset management (sicav et fonds communs de placement). « Notre philosophie, c’est la performance dans la durée, non la gloire fugitive d’une tête de classement une année donnée. » Une philosophie que le président du directoire incarne au plus haut point. L’essentiel de son patrimoine est d’ailleurs investi dans La Compagnie qu’il espère introduire en Bourse quand les conditions de marché le permettront « pour donner de la liquidité aux actionnaires minoritaires », mais « sans urgence ».

Article publié dans Le Figaro