Le profit incompatible avec la gratuité
Publié le samedi 1 juillet 2000Les récentes corrections de marchés qui ont affecté les valeurs technologiques signifient-elles que l’on a exagéré l’importance de la nouvelle économie ?
Je ne le crois pas. En vérité, nous sommes loin d’avoir encore mesuré toutes les implications de ce phénomène planétaire qui va pénétrer l’ensemble de l’économie mondiale, tous secteurs confondus. En revanche, ce qui a été très exagéré, c’est le niveau des valorisations boursières de certaines sociétés. La correction est salutaire et elle n’est pas finie. Il y a encore des valorisations invraisemblables. Une affaire comme Amazon dont le cours a considérablement baissé depuis la correction de mars est encore survalorisée. Je pense que ce libraire en ligne ne gagnera jamais d’argent et, un jour où l’autre, sera racheté à un prix qui pourrait être inférieur au prix actuel.
Faut-il revoir les méthodes d’appréciation des valorisations de ces sociétés de la nouvelle économie ?
Seule compte la capacité bénéficiaire. Il n’est pas normal que l’on valorise 100 fois le chiffre d’affaires d’une société dont on sait qu’elle ne gagnera pas d’argent. De ce point de vue, la gratuité est incompatible avec la perspective d’une activité profitable. Ainsi, les ressources publicitaires qui ont été imaginées pour rentabiliser beaucoup d’affaires Internet ne tiennent pas debout. Une grande banque américaine a démontré qu’en 2005, si l’on déduisait des valorisations de marché, le temps actif que devraient passer les internautes devant leur écran, on arriverait à 23 heures sur 24. Cela dit, les perspectives de croissance des bénéfices du secteur des nouvelles technologies sont trois ou quatre fois plus importantes que celles de l’ancienne économie.
Quel sera l’impact structurel de ces corrections de marché ?
Un double impact. D’abord la séparation du bon grain de l’ivraie. Les vrais projets avec un vrai management seront très brillants. Ensuite, les concentrations avec deux effets de sens inverse : des affaires traditionnelles absorberont des entreprises de la nouvelle économie financièrement exsangues ; mais l’appétence au mariage de ces entreprises dont la parité est dégradée deviendra moindre.
Les start-up Internet, véritables vedettes de cette nouvelle économie, souffrent beaucoup de la plus grande sélectivité des financiers. Sont-elles particulièrement menacées ?
Il y a une loi qui ne s’est jamais démentie dans la nouvelle économie. Le premier arrivé a un avantage écrasant. Cela ne veut pas dire qu’il n’y pas de place pour les start-up. Les jeunes entreprises vraiment innovantes ont un avenir. Celles en revanche qui jouent sur la mode du « dot com » sans vraie valeur ajoutée n’ont aucune chance. Elles ont fait illusion un moment.
La fiscalité française est-elle un frein au développement de la nouvelle économie en France ?
Elle est un frein au développement de toute l’économie et de la création d’emplois. Mais d’une certaine manière, la nouvelle économie traverse mieux les handicaps fiscaux que l’ancienne. Et les start-up mieux que les entreprises déjà mûres. Les politiques tolèrent mieux le profit chez les « jeunes pousses », et les plus-values sont moins surtaxées que les salaires.
Quel est l’impact de la nouvelle économie sur l’avenir de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild ?
Pour une banque à taille humaine, la nouvelle économie est une opportunité absolument phénoménale. Avec l’Internet, les établissements comme les nôtres peuvent accéder à un marché de détail planétaire à des coûts ridiculement faibles. Il est interdit de ne pas y penser. Nous avons un média planétaire à notre portée. Nous sommes profilés pour surfer sur cette vague.
Propos recueillis par Le Figaro Magazine