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Il faut dénoncer les produits attrape-nigauds

Publié le mardi 19 février 2008
Interviews

Michel Cicurel, le président du directoire de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild tire pour La Tribune un premier bilan de la crise financière pour les activités de gestion pour compte de tiers. Michel Cicurel estime que les gérants doivent rendre l’information sur leurs fonds de placement plus lisible.

Il y a un an, vous écriviez que la planète finance marchait sur un fil. La crise financière a éclaté depuis. Vous attendiez-vous à ce qu’elle soit si profonde ?

Début 2007, j’avais identifié des tensions dans l’économie et la finance mondiales. J’avais des craintes sérieuses sans rien de précis en tête, et je ne pensais pas particulièrement aux subprimes. Ce que j’avais diagnostiqué, c’est un climat. Car les bulles, qui jalonnent depuis des siècles l’histoire de la finance, s’apparentent, en fait, à un état d’esprit. Lorsque les choses se passent bien pendant un certain temps, on imagine que cela va durer, et c’est alors qu’on prend des risques inconsidérés. Comme le disent les pilotes de formule 1, au 40e tour, les pièces commencent à chauffer. Il y a un an, nous étions dans cette configuration de surchauffe, non sur les actions qui n’étaient pas chères à l’époque et qui sont donc extraordinairement bon marché aujourd’hui, mais sur le crédit, l’immobilier et l’art. De façon générale, l’économie mondiale était en croissance extrêmement forte pour la quatrième année, favorisant la finance permissive et créative. On commençait à oublier l’existence des cycles.

Il y a eu coup sur coup une tempête sur les fonds monétaires dynamiques, l’assèchement de la liquidité sur les valeurs moyennes, et maintenant la « fraude » à la Société Générale – dont vous êtes membre du conseil d’administration. Quels enseignements peut-on tirer ?

Sur la Société Générale, des audits et une instruction sont en cours. Je ne peux m’exprimer. À l’évidence, il s’agit d’un accident considérable, mais isolé, sans rapport avec la crise globale du crédit. À mon sens, il n’y a aucune leçon à en tirer pour l’ensemble du système financier. On cherche toujours à transformer chaque événement spécifique en enseignements universels et c’est bien français. Bien français aussi d’en profiter pour conspuer toute la finance, les marchés et le capitalisme… Dans l’ensemble et dans la durée, le système financier fonctionne bien, puisque l’économie mondiale s’épanouit. Ce n’est pas parce qu’un avion s’écrase que les gens doivent renoncer au transport aérien. Comme le disait Churchill à propos de la démocratie, le marché est le plus mauvais des systèmes, à l’exception de tous les autres.

N’est-on pas allé trop loin dans la sophistication financière ?

À la lumière de la crise des subprimes, on s’aperçoit que ce sont les institutions les plus régulées, en l’occurrence les établissements de crédit, qui ont été les plus touchées. Depuis des années, les hedge funds, dont la gestion est totalement libre, sont présentés comme dangereux et réservés aux investisseurs avertis. Or, aujourd’hui ce ne sont pas les hedge funds non régulés qui souffrent le plus de la crise mais les banques étroitement surveillées. Certes, les hedge funds ne sont pas à l’abri d’accidents comme Amaranth en 2006 ou LTCM en 1998. Mais la régulation n’a jamais empêché les accidents.

N’y a-t-il pas eu des abus des gérants ?

Il faut dénoncer les produits attrape-nigauds. On peut parfaitement bâtir des produits de placement simples à comprendre pour l’investisseur, qu’il soit particulier ou institutionnel, sans pour autant remettre en cause l’ingénierie financière. Prenons l’exemple des produits structurés. Il n’est pas grave en soi que la mécanique financière utilisée soit complexe tant que les ambitions de performance et la nature des risques associés restent compréhensibles pour l’investisseur. Lorsque vous achetez une voiture, peu importe la sophistication du moteur pourvu que le véhicule soit facile à conduire. Il en va de même pour les produits utilisant des produits dérivés, marché dont la France est leader mondial.

Quel a été l’impact de cette crise sur vos activités de gestion ?

Nous avons assuré la liquidité de nos fonds monétaires dynamiques qui se sont vidés au profit de notre gestion monétaire classique. Mis à part les fonds de trésorerie, l’activité de gestion l’an dernier a atteint une collecte record et nos actifs sous gestion progressaient de 15 %, à 30 milliards d’euros, à la fin 2007.

La diversité de votre gamme de gestion vous a-t-elle permis de mieux résister aux turbulences ?

Oui, car avec une gamme diversifiée, vous n’avez pas besoin de modifier votre offre de fonds à chaque retournement de marché. Notre groupe a une longue tradition de gestion actions performante mais il y a dix ans, elle était peu équipée en produits de placement  » tout terrain « , capables d’épouser les différentes phases de marché. Lors de l’éclatement de la bulle technologique, les produits structurés et le private equity étaient encore timides et la multigestion alternative n’existait pas. Ce qui ne nous a pourtant pas empêchés d’accroître parallèlement le volume de nos fonds gérés durant la crise précédente grâce à notre gamme d’actions rendement. Aujourd’hui, nous avons une gamme large, très adaptée aux terrains accidentés, ce qui est un progrès pour nos clients et pour nous.

L’adossement de Richelieu Finance remet-il en cause le modèle de sociétés de gestion indépendantes ?

Dans ce genre d’affaire, la taille de la société pose moins de problèmes que son style ou ses options de gestion : par exemple, avoir des portefeuilles trop concentrés sur certaines classes d’actifs ou sur certains titres. Cela ne remet donc pas en cause les sociétés de gestion indépendantes. D’ailleurs, certaines d’entre elles se portent très bien. Mais souvent, il est vrai, la taille des gérants indépendants les oblige à avoir des gammes de fonds  » courtes « , c’est-à-dire insuffisamment diversifiées en termes de classes d’actifs. Ainsi, les gestions performantes, souvent issues des  » boutiques « , sont des concurrents redoutables quand les marchés sont porteurs, mais nous nous défendons mieux dans les turbulences.

Vous avez un projet de joint-venture en Chine. Où en sont vos négociations ?

Nous espérons investir dans une société de gestion en Chine contrôlée par le pétrolier Cnooc, dont certains actionnaires minoritaires cherchent à sortir ou à réduire leur participation. Notre sentiment est que les choses progressent.

Vous avez également des projets en Inde…

Nous avons des discussions en Inde, mais rien de concret pour le moment. Nous réfléchissons à du private equity local, à de la gestion d’actifs mais aussi de la gestion privée. Nous pourrions même envisager d’investir dans la distribution, ce qui est possible en Inde avec des investissements raisonnables. Pour l’instant, tout est virtuel. L’important est notre orientation stratégique, très déterminée. Ces dix dernières années, nos encours ont augmenté en moyenne de 20 % par an, principalement en France. Pour conserver ce rythme de croissance à deux chiffres sur les dix prochaines années, nous devons nous développer à l’étranger, et notamment dans les zones à forte croissance. Ce sera désormais une priorité.

Interview publiée dans La Tribune