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Entretien pour Le Journal des Finances

Publié le samedi 6 octobre 2007
Interviews

Dans une table ronde organisée par Le Journal des Finances, Michel Cicurel donne son point de vue sur le projet de loi des finances 2008, les réformes budgétaires du gouvernement et l’état de l’économie mondiale après la crise financière de l’été 2007. Michel Cicurel est entouré de Jean-Bernard Lévy (Vivendi), Philippe Carli (Siemens), Jean-Pierre Clamadieu (Rhodia) et David Dautresme (Club Méditerranée). Voici uniquement les propos tenus par Michel Cicurel.

Le projet de loi de finances pour 2008 est-il à la hauteur des enjeux et des défis qui se posent à la France, notamment en termes de croissance et de maîtrise des finances publiques ?

Je ne trouve pas que cette loi de finances soit décevante. Pour avoir travaillé avec Raymond Barre, je pense qu’en matière de finances publiques il n’y a rien de mieux en France que le gradualisme. Les Reagan et les Thatcher, ici ça ne marche pas ! Un grand chambardement qui mettrait tous les fonctionnaires dans la rue n’aurait aucun sens. La loi de finances qui vient d’être présentée est donc raisonnable. Naturellement, elle n’est pas suffisante, il faut faire la même chose pendant cinq ou même dix ans ! Mais ce budget marque la troisième année de dépenses contenues. C’était d’ailleurs la recommandation du rapport Pébereau, qui n’est pas vraiment connu pour être un grand laxiste : avoir pendant plusieurs années une progression nulle des dépenses publiques en volume. Un déficit qui provient de la baisse des prélèvements obligatoires, et non de l’augmentation des dépenses, n’est pas le même qu’un déficit à la Jospin, qui conjugue l’augmentation des prélèvements et celle des dépenses. Non seulement ce déficit se justifie par une croissance molle – et sans doute surévaluée par le gouvernement -, mais, surtout, il s’accompagne de la poursuite de la Lolf (loi organique relative aux lois des finances), puisque cela fera la troisième année de maîtrise raisonnée des dépenses publiques.

Dans la fonction publique, comme dans le privé, on ne peut pas abaisser les effectifs avant d’en améliorer la productivité. Cet effort est incontournable. D’ailleurs, on commence à voir dans l’administration des postes qui ne peuvent plus être pourvus par des Français, puisque notre population active diminue. Et de ce point de vue, le vrai gisement d’économies, c’est qu’il y a un échelon administratif de trop (État, région, commune, etc.).

Qu’attendez-vous du président de la République dans les prochains mois comme réformes prioritaires ?

Nicolas Sarkozy parvient à tout faire à moitié… on aura tout de même progressé, car ça fait vingt-cinq ans qu’on ne fait rien du tout ! Quand tout le monde descend dans la rue pour s’attaquer à une réforme prioritaire, comme en 1995, c’est l’inertie pendant les dix années suivantes. Il y a cependant deux sujets importants. Celui des 35 heures n’est pas traité alors qu’il est responsable d’une grande part du problème du pays. Ce n’est pas l’euro (il est d’ailleurs assez indélicat d’attaquer l’Europe au moment même où l’on a le plus besoin de sa compréhension) mais les 35 heures qui sont entièrement responsables du recul de la productivité en France. Et je considère la promotion des heures supplémentaires comme une aide au pouvoir d’achat, non à la compétitivité Par ailleurs,il faut favoriser le capitalisme français, en le popularisant. Il y a trop de séguinisme dans l’air ! Les charges sociales qui menacent les stock-options sont contradictoires avec l’idée qu’il faut stimuler l’innovation. Un cadre ne partira jamais d’un grand groupe pour monter sa start-up s’il n’a pas des stock-options pour compenser la modestie de sa rémunération initiale. Et si l’on ne donne pas des stock-options dans la finance, les salariés iront travailler à Londres. Le mieux serait plutôt d’alléger les prélèvements sur les stock-options pour les petits détenteurs afin de stimuler l’actionnariat populaire, très insuffisant en France.

Compte tenu de vos activités, quel est votre sentiment sur l’état de l’économie mondiale après la crise financière de cet été ?

Ma seule conviction sur la conjoncture mondiale est qu’on ne peut pas en avoir. D’abord, parce que c’est la première crise globale de l’Histoire. La baisse inévitable de la consommation américaine ne peut être assimilée à une fin de cycle habituelle. C’est une fin de cycle inédite, difficile à déchiffrer parce que nous n’avons aucun précédent de ce genre au plan global. Comment l’Asie réagira-t-elle au ralentissement américain ? Quelle sera la liquidité du système bancaire mondial si le hors bilan doit réintégrer les bilans ? Le dispositif mondial des banques centrales saura-t-il gérer ses contradictions ? Les fourmis d’Extrême-Orient ou du Golfe continueront-elles de financer les cigales occidentales ? Trop de questions inédites pour élaborer un pronostic sérieux. Il était clair, après cinq années de très forte croissance mondiale, que certains élastiques, trop tendus, allaient lâcher. Avant la mondialisation, la crise de confiance eût été sévère. Mais en économie globale, les nouvelles frontières peuvent nous sauver.

Table ronde animée par Yves de Kerdrel et Caroline Mignon pour Le Journal des Finances