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C’est la crise, mais pas l’apocalypse

Publié le mardi 27 janvier 2009
Tribunes

Certes, on ne peut écarter absolument l’hypothèse que 2009 soit l’année de l’apocalypse économique et financière.
Certes, depuis l’été 2007, tous les repères ont volé en éclats. Système bancaire et financier au bord du précipice. Aux États-Unis, régulateurs et règlements disqualifiés. Réserve fédérale trop complaisante sur la création monétaire, trop laxiste sur le contrôle des organismes de crédit. SEC, suspectée hier de négligence à l’égard de la bulle Internet, aujourd’hui déconsidérée par l’inconcevable scandale Madoff.


Agences de notation traitées de parapluies pour le beau temps. Règles comptables accusées d’accentuer la crise, après avoir flatté la bulle… Chacun mesure que l’erreur humaine n’est le monopole de personne, et qu’elle est bien plus dévastatrice dans la tour de contrôle que dans la cabine de pilotage. La défiance à l’égard des garants du système alimente une grave crise de foi.

Certes, en dix-huit mois, toutes les classes d’actifs ont été disloquées. L’immobilier et les produits de taux, sanctuaires de la sécurité. Puis les actions, les commodities, les fonds alternatifs, le non-coté. Le cash affronte aujourd’hui les variations énigmatiques de parités de change, demain le risque d’hyperinflation. Même certaines obligations d’État au sein de l’eurozone suscitent des craintes.

Face à la crise, une sorte de conjuration mélancolique se ligue pour annoncer la fin d’un monde. Personne ne peut raisonnablement jurer que ces prophètes de malheur se trompent. Car ces grands bouleversements sont inédits et d’une ampleur inégalée : nous vivons en effet la première crise globale, combattue sérieusement par la première gouvernance globale. Le film des années à venir n’est donc pas écrit. En janvier 2007, dans un article intitulé « La planète finance danse sur un fil », je dénonçais les dangereux déséquilibres qui accompagnaient l’exceptionnelle croissance mondiale des années précédentes. Mais j’ai considérablement sous-estimé la violence du drame bancaire et financier qui s’est joué à la rentrée de 2008. Et c’est donc avec beaucoup d’humilité que je me risque à quelques pistes de réflexion de simple bon sens. J’en propose quatre.

Ne pas invoquer à la légère la refondation du capitalisme

La première : ne pas invoquer à la légère la « refondation du capitalisme ». Il est illusoire et dangereux de prétendre « refonder le capitalisme » pour que « cela ne se reproduise plus jamais ». Les économies modernes sont complexes et ne peuvent s’épanouir que dans des systèmes de décision décentralisés qui n’excluent ni Code de la route, ni gendarmes, ni malheureusement accidents et ambulances. Car les bulles et leur explosion sont aussi vieilles que les économies de marché. Le génie du capitalisme est de se refonder lui-même, inlassablement, non par l’accumulation de règles mais par l’usage, l’expérience, les essais et les erreurs, les innovations et les crises porteuses des innovations du futur.

Nous sortirons donc de ce chaos, et la planète globale continuera de choisir le système capitaliste puisque aucun autre n’a fait ses preuves. À l’inverse de la « vieille Europe », le monde émergent ne peut s’offrir le luxe d’en douter. Et nous reprendrons une pente de croissance forte, tirée par ces deux exceptionnels moteurs de croissance que sont les pays émergents (la moitié du monde !), désormais excédentaires en devises, et les nouvelles technologies de l’information et de la communication, vecteurs de globalité positive.

N’écarter aucun pronostic

Crise de 1929Il convient ensuite, dans cette crise sans précédent, de n’écarter aucun pronostic, même celui d’une convalescence rapide. Ni l’apocalypse, sans remède, sinon cette vieille règle d’or de conserver une part de son patrimoine… en or. Ni, au contraire, la stabilisation avant 2010, grâce à une accumulation de contrepoisons aussi impressionnante que la crise : baisse des taux et interventions directes des banques centrales ; soutien massif des États au système bancaire et à l’économie ; apport considérable de pouvoir d’achat aux ménages par la baisse des prix du pétrole ; déstockage drastique de la part des entreprises. Sous réserve qu’aucun incident financier systémique ne vienne interrompre la convalescence espérée, la reprise économique se produira d’abord aux États-Unis et dans la majorité des pays émergents, soit une bonne moitié de l’économie mondiale. À l’appui de ce scénario vertueux, il faut saluer, malgré ses approximations, les progrès historiques de la gouvernance mondiale. Est-on capable d’imaginer les conséquences vertigineuses d’une réponse nationaliste et protectionniste à notre crise globale ? Ou l’implosion de l’Europe, comme en 1929, sans l’Union et sans l’euro ? Au sein de cette coopération mondiale encore balbutiante, l’avenir, comme le passé récent, sera propulsé par ce couple inséparable de la locomotive sino-américaine.

Ne pas enterrer les classes d’actifs ayant fait leurs preuves avant la crise

Il ne faut non plus enterrer aucune classe d’actifs ayant fait ses preuves avant la crise. Face à des avenirs aussi contrastés que l’« apocalypse now » et le retour à l’eldorado des « trente globales », que doit penser l’investisseur averti ? Surtout, me semble-t-il, que toutes les classes d’actifs disloquées en dix-huit mois retrouveront leur place sans exception. Parce que toutes remplissent une fonction bien précise dans un système financier sophistiqué chargé de diriger les capitaux du monde émergent excédentaire vers le monde développé. Sans doute les marchés d’actions joueront-ils la reprise économique avec un peu d’avance, mais la volatilité n’est pas près de reculer. Sans doute aussi la baisse des taux et des primes de risque soutiendra-t-elle les obligations privées, mais il y aura forcément des défaillances d’entreprises. La volatilité et l’incertitude rendront naturellement leurs lettres de noblesse aux hedge funds, aux dérivés et aux produits structurés. Tous les actifs ont joui d’une hausse excessive avec la surabondance de liquidités, puis ont tous été disqualifiés par l’éclatement de la bulle de crédit, et tous retrouveront, avec le rétablissement d’une situation de liquidité normale, leurs attraits et leurs inconvénients.

Cultiver la performance dans la durée

Enfin, il faut cultiver la performance dans la durée. Mais alors, cette crise aurait-elle été pour rien ? Tout redeviendrait-il « comme avant » ? Dans son message du rapport annuel 2007, le baron Benjamin, président du groupe Edmond de Rothschild, dénonçait la perte de valeur de l’argent. Il faisait observer que le crédit gratuit avait été un puissant levier de la dissipation de cette valeur et, de ce fait, de la perte du sens des réalités et du respect du temps : « Lorsque le temps n’a plus de prix, la folie s’empare du monde. »

Et qui, dans ce capitalisme du XXIè siècle revu et corrigé, apportera la vision du long terme ? Les États, provisoirement devenus banquiers et assureurs du monde ? Les régulateurs, forts de leur indépendance ? Les investisseurs institutionnels, porteurs de l’avenir des capitaux longs ? Peut-être.

Mais, disons-le, dans cette crise effrayante, les particuliers, actionnaires individuels, désormais impavides face à l’extrême volatilité instantanée des marchés, déposants fidèles dans les grandes banques sévèrement endommagées, clients privés sophistiqués face aux pertes subies dans l’ensemble des classes d’actifs, ont fait preuve d’un sang-froid et d’une sagesse remarquables. Ce sont eux d’abord, les acteurs de base du capitalisme, qui enseigneront aux vigies de la tour de contrôle les vertus du long terme, sans lesquelles il n’est de création de richesse. Car si 2008 fut naturellement l’année de l’angoisse de la liquidité, 2009 sera plutôt celle de l’angoisse de la performance, qui appelle l’investissement dans la durée.

Tribune publiée dans Le Figaro