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« Notre partenaire idéal : une banque de détail indienne ou chinoise »

Publié le mardi 10 juin 2008
Interviews

Michel Cicurel, président du directoire de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, annonce aux Échos la mise en attente de son projet de cotation de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, rendu difficile par l’évolution des marchés. Une alliance avec un partenaire bancaire chinois ou indien est désormais privilégiée.

Où en êtes-vous de votre projet d’introduction en Bourse ?

Notre projet est prêt mais, comme vous le savez, la Bourse n’est pas du tout en forme. Cela n’est pas bien grave. Nous pouvons attendre. A la différence de beaucoup de banques, nous n’avons nullement besoin de lever des capitaux pour des raisons liées à la crise. Nos résultats 2007 ont atteint un record historique. Si nous envisageons d’aller en Bourse, c’est à cause des effets pervers des normes IFRS qui nous obligent à déduire de nos fonds propres le coût théorique du rachat de l’ensemble des actions détenues ou à détenir par les salariés. C’est le paradoxe de l’IFRS : quand la banque va bien, ses fonds propres vont moins bien, parce que la valeur des actions attribuées aux salariés augmente ! La cotation a l’avantage d’assurer la liquidité des salariés, sans consommer de fonds propres. Or nous aurons besoin de capitaux pour développer notre groupe à l’international dans les années à venir. Il est absurde de les paralyser pour des engagements purement virtuels.

Vous aviez aussi des projets à l’international…

Jusqu’à présent, le groupe de La Compagnie Financière s’est développé essentiellement en France, en Israël et en Italie, et de façon totalement organique. Si nous voulons continuer à assurer notre rythme de 20 % de croissance par an des actifs gérés et de 25 % du résultat, nous devons impérativement prendre le large. La cotation nous donnerait une meilleure marge de manœuvre pour nos ambitions asiatiques, qui sont grandes.

Vous n’avez donc pas abandonné le projet ?

Pas du tout ! Nous reverrons la question quand les marchés se seront repris. Mais il existe aussi une alternative : un partenaire qui voudrait entrer dans le capital de notre banque familiale non cotée, en acceptant l’absence de liquidité, comme a bien voulu le faire la Caisse de Dépôt et Placement du Québec. Cela n’aurait de sens, bien sûr, pour nous et pour ce partenaire théorique, qu’avec un apport significatif de business mutuel.

Une alliance avec Rothschild & Cie ferait-elle sens à cet égard ?

Non. Le groupe de Benjamin de Rothschild vaut près de 4 milliards d’euros, détenu en presque totalité par la famille. Le groupe dirigé brillamment par David de Rothschild, surtout reconnu en banque d’affaires, se retrouverait minoritaire dans un groupe commun dominé par les activités de gestion, et n’a aucune raison de vouloir cela. Notre partenaire idéal serait une grande banque de détail indienne ou chinoise qui aurait des ambitions dans le domaine de la banque privée et de la gestion d’actifs et serait intéressée par notre savoir-faire dans ces métiers.

Mais cotation en Bourse ou partenariat sont des espoirs du management. Benjamin de Rothschild aimerait autant ne pas être dilué, et sacrifier un peu de ses dividendes pour assurer simultanément l’intéressement de ses équipes et le développement de son groupe.

Allez-vous faire évoluer votre gouvernance ?

Quelle que soit l’issue choisie, nous devons la faire évoluer. L’actuel vice-président du conseil, Victor Sasson, après cinquante ans de succès dans le groupe, va céder sa place à René Barbier de la Serre. Nous allons aussi accueillir de nouveaux administrateurs, à la fois familiaux et extérieurs. Ariane de Rothschild, l’épouse de Benjamin, qui était déjà présente au conseil du holding faîtier en Suisse, fait ainsi son entrée aux conseils des banques. Benjamin de Rothschild, père de quatre filles, veut en effet féminiser dès aujourd’hui la représentation de l’actionnariat familial. Carlo de Benedetti entre également au conseil de la banque, et il sera rejoint par deux autres grands entrepreneurs. Un changement important au directoire de la banque interviendra après l’assemblée générale de 2009. Samuel Pinto souhaite rejoindre notre filiale israélienne, créée et dirigée par Jimmy Pinto, son frère. Il demeurera directeur général de la Compagnie Financière Saint-Honoré, le holding français, qui détient la banque, la participation dans Siaci-Saint-Honoré (le groupe de courtage d’assurance), Cogifrance (le groupe immobilier), et un important portefeuille de compte propre. A cette même date, Marc Samuel, directeur général adjoint, entrera au directoire de la banque.

Quelles ont été vos performances financières en 2007 ?

Quand je suis arrivé en 1999 à la direction du groupe parisien, je rêvais de réaliser un résultat égal au chiffre d’affaires de l’année 1998. En 2007, nous avons dégagé 105 millions d’euros de bénéfices, contre 102 millions de revenus en 1998 ! Nous gérons près de 30 milliards d’euros d’actifs, cinq fois plus qu’en 1998. Pour l’ensemble du groupe LCF Rothschild, c’est plus de 100 milliards d’euros d’actifs et un résultat net de 260 millions d’euros. Une belle success story pour l’anniversaire des dix ans de règne de Benjamin de Rothschild à la tête de son groupe !

Et en 2008 ?

En 2008, notre résultat sera évidemment plus mesuré que les années précédentes. Nous collectons au même rythme élevé qu’en 2007 en gestion privée, en multigestion alternative, en produits structurés, et en private equity. En revanche, les marchés de taux et d’actions sont naturellement plus difficiles. Nous avons prévu dans notre business plan un résultat de 70 millions d’euros. Au creux du cycle d’une crise sévère, c’est plus de deux fois le résultat de l’an 2000, le haut du cycle précédent. Ce n’est pas si mal !

Propos recueillis par Elsa Conesa et François Vidal pour Les Échos