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La planète finance ne tourne plus rond

Publié le lundi 24 septembre 2007
Tribunes

Le monde économique et financier se met lui aussi à l’heure du rugby. Il y a trois mois à peine, la planète finance ne pouvait pas tourner plus rond. En apparence en tout cas. Et voilà qu’en quelques semaines elle s’est mise à tournoyer ovale, à rebondir dans n’importe quelle direction, inattendue, imprévisible et capricieuse comme le ballon de rugby.

Cette image n’est pas un simple jeu de mots, mais l’expression d’une profonde conviction : il serait très imprudent de faire dès maintenant un pronostic sur les rebondissements possibles de la crise de l’été. Je m’autorise quelques brèves remarques pour excuser ma perplexité.

S’agissant des décennies à venir, je suis persuadé que le monde n’a jamais connu dans l’histoire un moteur aussi puissant de cycle de croissance longue, dit cycle de Kondratieff. Un moteur à plusieurs turbines qui se potentialisent mutuellement : l’accès à l’économie de marché du continent asiatique, plus d’un tiers de l’humanité ; la mondialisation qui étend ce cercle vertueux, moins cyclique et peu inflationniste, à la planète entière ; les nouvelles technologies qui ont non seulement favorisé la globalisation mais aussi continueront longtemps de propager la productivité sur cette large portion de la planète dont elle est encore absente ; les entreprises, mieux gérées, qui n’ont jamais eu une meilleure santé financière et une aussi forte capacité bénéficiaire.

Traduite en termes d’allocations d’actifs, l’apparition d’un nouvel âge d’or économique durable signifie que la superformance des actions dans la durée n’aura jamais été aussi prometteuse. Mais, mais, mais… Dès le début de l’année, nous le disions : « La planète finance danse sur un fil » (voir « La Tribune » du 30 janvier). De même que les pilotes de formule 1 savent qu’au 40e tour « ça chauffe » : il faut alors au moins changer les pneus et toute la machine est plus à risque. De même, une cinquième année de croissance mondiale à 5 %, « ça chauffe », et même très fort : Où ? Quand ? Comment ?

Trop d’incertitudes, trop d’inédit

Il se trouve que l’immobilier américain a ouvert le bal, mais chacun sent plus ou moins confusément que la danse sur le fil ne fait que commencer. C’est toujours au moment précis où rien ne paraît compromettre la fête planétaire que s’enclenchent les bulles. Alors les sophistes vous expliquent pourquoi « rien n’est plus comme avant ».

En 2000, on vous disait que la nouvelle économie avait enterré les cycles des bricks and mortar. En 2007, on vous suggère que la crise de la sphère financière n’entamera pas la santé insolente de la sphère réelle : comme si la finance n’était pas réelle ! On vous assure que la Chine prendra le relais des États-Unis grâce à son immense marché domestique, comme si un retournement de cycle, même modeste, n’avait pas d’effets marginaux dangereux après trois années de surchauffe ! On vous démontre que les actions, à vrai dire plutôt bon marché, occuperont la place laissée libre par l’éclatement des bulles de l’immobilier et du crédit : comme si les turbulences des marchés du crédit ne se transmettaient pas nécessairement aux marchés d’actions, alors que le Dow Jones n’a perdu que 5 % depuis son plus haut historique de l’été !

Au fond, la grande illusion, c’est la décorrélation. Mais comment croire en même temps à la globalisation et à la décorrélation ? Turbulences financières passagères ou retournement économique plus profond : nous vivons en tout cas la première crise financière globale, et peut-être aussi la première fin de cycle globale si le monde émergent dérape.

Arbitre indispensable

Nous n’avons pas de référence historique à nous mettre sous la dent. Tout est interconnecté mais tout est inédit. Trop d’incertitudes sur les données objectives et sur les réactions irrationnelles, trop de synapses qui se connecteront pour la première fois, trop d’intelligence financière sans précédent pour nous permettre de deviner où rebondira le ballon ovale.

L’arbitre, c’est-à-dire les banques centrales, parviendra-t-il à contrôler le jeu et à nous permettre d’éviter les coups bas dans la mêlée ? Ce n’est pas le moment, en tout cas, de bousculer l’arbitre, car il est seul capable d’éviter une panique aveugle et meurtrière dans le stade.

Tribune publiée dans Les Échos