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Michel Cicurel veut conjuguer business et bonheur

Publié le mercredi 6 novembre 1996
Portrait

Le chapitre des emmerdes est terminé. Après les pissenlits, je souhaite maintenant avoir les fruits de mon travail.

Je ne vois pas ce que je pourrais faire de plus amusant aujourd’hui. » On ne peut être plus clair. A l’en croire, Michel Cicurel ne quittera pas Cerus. En tout cas pas tout de suite. Car si la cession de Valeo achève, comme il en avait reçu la mission, de désendetter la branche française du groupe de Carlo De Benedetti, Michel Cicurel doit encore offrir à Cerus « des participations de référence ». « Avec nos 3 milliards de francs d’actifs dont aucun n’est stratégique, on doit pouvoir faire de beaux enfants en France et en Europe « . Dans quels secteurs ? « Celui du profit », lâche simplement Michel Cicurel. Industrie ou service, aucun domaine n’est exclu en dehors, évidemment, de la banque et de la finance… « Il faut éviter ce qui fâche. »

Une histoire heureuse

L’accord conclu lundi soir avec la CGIP donne cependant à Michel Cicurel le sentiment du devoir accompli. « J’ai fait du bon boulot », concède­t­il avec satisfaction avant d’énoncer, comme pour ajouter un bémol, cette citation de Sacha Guitry qu’il semble particulièrement apprécier _ elle figurait d’ailleurs en introduction de son premier best-seller, « La France quand même » : « Il faut toujours dire du bien de soi parce que cela se répète et l’on ne sait plus qui a commencé. » Lui n’en a pourtant pas besoin. Son bilan parle à sa place. Lorsqu’il en prend la vice-présidence à l’automne 91, la situation financière de Cerus n’incite pas à l’optimisme. Sa dette culmine à 5,5 milliards de francs, soit à peu de chose près ses fonds propres (5,7 milliards). Quant au groupe bancaire Duménil-Leblé, il est en état de quasi-cessation de paiement. « Je me suis trouvé face à un énorme problème », résume joliment l’ancien patron de Cortal. En cinq ans, Michel Cicurel cède tour à tour tous les actifs financiers, procède à la liquidation amiable de la banque, règle les problèmes fiscaux et juridiques des participations étrangères, enfin boucle la vente de Valeo sur la base de vingt fois ses bénéfices. « C’est une histoire heureuse , résume Michel Cicurel. Tous les holdings ne sont pas dans la situation de Cerus aujourd’hui. »

La suite ? A tous ceux qui le voient bien maintenant exercer ailleurs ses talents de redresseur, lui oppose un démenti cinglant. Sa définition d’un travail intéressant colle parfaitement, à l’entendre, avec ce qui lui reste à faire chez Cerus. « Je n’ai pas l’obsession de diriger de grands paquebots de 50.000 personnes. Je veux simplement être indépendant, avoir les coudées franches. Je veux quelque chose qui me permette de bouger. Je n’aime pas les figures imposées du matin au soir. Or, dans une grande structure, trop de temps est consacré aux figures imposées. » Même au Trésor, se souvient Michel Cicurel, « j’ai choisi mon premier bureau en fonction de ces critères ». Quant à la Compagnie Bancaire, « j’aurais pu y faire autre chose, mais la création de Cortal c’était mon truc ». Sans compter que le stress du départ a disparu. « Ce n’est pas pareil de travailler sans problème de dette. » Lui entend maintenant procéder calmement.  » M’avez­vous jamais vu pressé ? « , aime­t­il questionner avec ce brin de nonchalance toute méditerranéenne (ses parents étaient égyptiens, son grand-père italien). « Évidemment, nous allons chercher à ce que les cessions ne s’étalent pas sur plusieurs exercices. Mais nous n’allons naturellement pas les brader. »

Une chose est sûre s’agissant de son avenir, Michel Cicurel ne veut pas être numéro deux.  » Je n’aime pas cela « , lâche­t­il sobrement pour expliquer son départ de Danone (BSN à l’époque) pour Cerus. Antoine Riboud n’en reste pas moins l’un des quatre  » grands patrons  » de sa vie avec Jean-Yves Haberer ( » Cela arrange tout le monde qu’il soit le bouc émissaire du Lyonnais « ), Raymond Barre et Carlo De Benedetti.

Le choix de la banque

Le deuxième a croisé sa route dès l’Ena ; quand Jean-Yves Haberer est président de son jury de concours en 1973. Michel Cicurel en ressort avec un 20 en poche. C’est donc tout naturellement que l’ancien président du Lyonnais fait appel à lui lorsqu’il prend la direction du Trésor de 1978 à 1982. Là, première rupture dans la carrière de Michel Cicurel. Son mariage, un premier enfant et l’accession de la gauche au pouvoir lui font changer d’orientation. « J’avais envie de gagner ma vie, de diriger. Surtout, il faut reconnaître que, compte tenu de mes liens connus avec Raymond Barre, la victoire des socialistes ne constituait pas pour moi un tremplin exceptionnel. Je suis donc parti sans tristesse. »

Michel Cicurel fait son choix. Ce sera la banque. Il rejoint la Compagnie Bancaire comme chargé de mission à l’Union de Crédit pour le Bâtiment. En 1984, la filiale de Paribas crée la première banque à distance en France. Son nom: Cortal. Michel Cicurel en prend la direction générale. Premier challenge, première réussite aussi. En quatre ans, Cortal trouve son point mort avec 55.000 clients.

Nous sommes en 1989. A la recherche d’un « profil, d’un homme, plus que des connaissances techniques particulières », Antoine Riboud l’appelle. « Michel Cicurel, déclare-t­-il dans un communiqué, a déjà fait la preuve de son adaptabilité et de ses capacités d’animation. » Un défi l’attend : trouver des synergies entre les fromages de Galbani dont il vient de prendre le contrôle en Italie et ses propres produits frais en France. Seconde rupture. Michel Cicurel dit oui et prend à contre-pied tous ceux qui le voyaient déjà grimper tous les échelons de la banque. Mais Antoine Riboud est alors âgé de soixante et onze ans et vient de modifier les statuts de BSN pour pouvoir exercer jusqu’à quatre-vingt ans. Quant à son fils Franck, il n’a que trente-trois ans et l’expérience des biscottes Heudebert et des biscuits Nabisco. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre ce qui motive alors Michel Cicurel. Làs, un déjeuner mettra fin deux ans plus tard aux ambitions agroalimentaires du jeune banquier.

Son départ signe son retour dans la banque. Après avoir fait un bout de route avec Alain Minc puis Jacques Letertre, Carlo De Benedetti l’appelle au secours de Cerus englué dans les déboires de la banque Duménil-Leblé. La suite est connue. Michel Cicurel vient d’en boucler un difficile épisode.

Neveu de Pierre Mendès-France

Si son avenir ne rime pas avec Cerus, la politique ne tente pas Michel Cicurel malgré sa longue amitié pour Raymond Barre (rencontré dès 1976) et son indéfectible soutien à Alain Juppé. Trop individualiste peut-être. Pas militant sûrement. Et puis, Michel Cicurel veut lire tout de suite le résultat de ses actions. « Je crois à l’influence des idées », rassure­t­il dans la foulée. Sans cela, celui qui est aussi le neveu de Pierre Mendès-France n’aurait pas écrit deux ouvrages. « La France quand même », en 1983, et « La Génération inoxydable », en 1989. Sans cela, Michel Cicurel n’aurait pas non plus accepté en 1993, à la demande de Jacques-Henri David, la présidence de la commission de réflexion au CNPF créée cinq ans plus tôt par… Ernest-Antoine Seillière.

Quelle que soit sa route, Michel Cicurel possède – c’est l’un de ses proches qui le pense – « une aptitude exceptionnelle au bonheur ». Lui confirme. Reste à savoir dans quel champ ce bonheur va l’emmener courir.

Article rédigé par Bénédicte Épinay pour Les Échos