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La crise est devant nous

Publié le jeudi 7 mars 2013
Tribunes

Pour le président de Michel Cicurel Conseil, Michel Cicurel, le règlement du profond déséquilibre économique mondial passe par une cure de désendettement massif.

Une épouvantable élection en Italie et un nouveau vertige de la cohabitation politique aux États-Unis, et rien ne va plus! Pourtant, depuis l’été 2012, le soulagement avait gagné l’opinion économique et financière mondiale. Les deux terreurs qui paralysaient le monde avaient été provisoirement levées: la peur de l’explosion de l’euro conjurée par les deux Mario et la peur du fiscal cliff différée par le compromis dilatoire trouvé au Congrès américain. Les marchés financiers et le forum de Davos ont fait la fête. Quant au président Hollande, il a salué cet accès de bonne humeur de son art légendaire de la synthèse: «La crise est derrière nous.»

Certes, il existe des motifs légitimes de soulagement: aux États-Unis, les premiers signes de convalescence du marché immobilier et le contre-choc énergétique lié au gaz de schiste ; en Europe, l’effort considérable de retour à l’équilibre des pays périphériques en réponse au soutien de la Banque centrale européenne (BCE) et des États de l’eurozone, qui ont ramené le calme sur les marchés et le système bancaire. Mais ces quelques hirondelles sont loin de faire le printemps, même si elles valent mieux que de nouveaux corbeaux.

S’il est vrai que les risques systémiques européens et américains ont reculé, rien n’est vraiment réglé. Chacun sait qu’il ne s’agit pas d’une crise, mais d’un bouleversement profond de l’équilibre économique mondial. Chacun sait que les pays développés, dont la compétitivité a été bousculée par les émergents, ont tenté de protéger leur niveau de vie en émettant de la monnaie de singe: aux États-Unis, le système bancaire a dopé les consommateurs, et en Europe les États-providence leur ont fourni la drogue. Les deux systèmes de surendettement ont implosé, et pour refroidir le risque systémique, les banques centrales ont traité le mal par le mal, en déversant des liquidités abondantes. Malgré ce traitement de cheval, l’économie américaine se redresse trop doucement et celle de l’Europe est à plat. Le Japon n’en finit pas de sortir du coma. Quant au monde émergent, il ne sera pas une locomotive mondiale avant longtemps. Il va un peu mieux, parce que les États-Unis vont un peu mieux. En bref, sans le soutien de la création monétaire, le monde est menacé de récession et de déflation.

Et tandis que le risque de ralentissement mondial s’éloigne à peine, il va falloir entamer la cure de désendettement massif, puisque l’excès de dette a été soigné par de la nouvelle dette. Les déficits américains sont abyssaux et n’ont aucune chance de se résorber sans un effort considérable compte tenu de cette croissance trop faible et d’une productivité qui régresse.

Quant aux pays d’Europe, Allemagne exceptée, ils cherchent en vain cette ligne de crête où la rigueur budgétaire ne pénalise pas la croissance au point d’aggraver les déficits. Les banquiers centraux menaient la danse en donnant de l’argent et du temps aux gouvernements en échange d’une réduction des déficits, mais ce tango mélodieux touche à sa fin.

Partout les populations des pays riches savent qu’il va falloir faire des sacrifices et glorifient les responsables non élus qui imposent la discipline sans démagogie. Mais, partout, elles réclament «encore un instant M. le bourreau» en votant contre la rigueur. Les Américains ont réélu Obama qui finance la couverture santé avec une planche à billets à bout de souffle. Et les Italiens qui portaient Mario Monti aux nues au gouvernement lui ont coupé les ailes dans les urnes. Le scénario français de 2012, populisme compris, se reproduit à l’identique. Il faut bien malheureusement le dire: les démocraties d’opinion sont démantelées face aux crises graves. Et le monde est en risque. Les grandes menaces demeurent: celle de l’éclatement de l’euro, celle de l’effondrement du dollar et celle du krach obligataire sur les deux rives de l’Atlantique.

Curieusement, pour conjurer ce scénario dramatique, c’est la France qui devient le centre du monde. Comme Coe-Rexecode n’a cessé de le démontrer depuis dix ans, la convergence économique franco-allemande a implosé précisément lors de la naissance de l’euro. Or, cette convergence est la clé de la survie de la monnaie unique: tant que l’Allemagne sera rassurée sur le couple, et sa capacité à partager le fardeau des pays périphériques, elle ne renoncera pas aux bénéfices immenses de la zone euro. Mais si le doute s’installe sur la complicité du couple franco-allemand, l’euro est mort.

Ne nous berçons pas de l’illusion que les méandres politiciens de l’Italie vont nous offrir un répit supplémentaire. L’Italie porte un lourd passé avec une dette publique de 125 % du PIB, alors que la France n’atteint «que» 90 %. Mais ce pays est bien plus efficace au présent: le budget primaire (avant charge de la dette) est en excédent depuis quinze ans, le gouvernement Monti a réalisé 90 milliards d’euros d’économies en dix-huit mois, et l’Italie a retrouvé l’excédent de sa balance commerciale. Les États-Unis et la France souffrent des mêmes déficits jumeaux et ne peuvent financer leurs dépenses publiques excessives qu’en important des capitaux étrangers. En matière de finances publiques et de compétitivité, nous avons des leçons à prendre de notre voisin de la péninsule italienne.

Quant au risque systémique majeur que représentent à terme les déficits américains, il ne se résorbera que si l’euro cesse d’être menacé dans son existence. Cela fait des décennies en effet que les États-Unis financent leur suprématie technologique à crédit grâce au monopole du dollar, seule véritable monnaie mondiale. Ce que les chefs d’État européens ne disent pas suffisamment à leurs opinions fatiguées de l’Europe et de l’euro, c’est qu’une seconde monnaie mondiale, réellement capable de concurrencer le dollar, obligerait les États-Unis à traiter sérieusement leurs déficits et rétablirait l’équilibre entre les deux rives de l’Atlantique. La complète guérison de la zone euro est vitale non seulement pour l’Europe, mais aussi pour le monde.

Que M. Hollande le veuille ou non, il ne peut se permettre d’être normal, tant le sort de la planète est entre nos mains. Comme M. Schröder, socialiste lui aussi, l’avait fait pour l’Allemagne, il va falloir opérer un gigantesque transfert du secteur public vers les entreprises, des consommateurs nourris par l’État-providence vers les chômeurs, des prélèvements obligatoires vers les investissements productifs, du loisir et de la sécurité vers le travail, l’audace et le risque.

L’échec des promesses faites par le pouvoir sur le recul du chômage et la réduction de la dette publique est une occasion historique pour la gauche française de prendre la mesure de ses responsabilités. Quel progrès pour la France si notre pays cessait de risquer sa vie à chaque alternance!

Tribune publiée sur Le Figaro