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« Il nous fallait grandir pour demeurer suffisamment rentable »

Publié le mercredi 28 avril 2004
Interviews

La Compagnie Financière Saint-Honoré et sa filiale, la Compagnie Financière Edmond de Rothschild Banque, ont la parole rare. Arrivé en février 1999 à la présidence du directoire des deux sociétés, Michel Cicurel dresse pour la première fois le bilan du recentrage opéré par le groupe ces cinq dernières années, en termes de métiers et de résultats.

Lors de votre arrivée, en 1999, vous avez demandé à McKinsey un audit pour une relance de la banque. Cinq ans après, pari tenu ?

Dès ma nomination, en février 1999, j’ai lancé une réflexion sur la situation de la Compagnie Financière. La maison était talentueuse mais insuffisamment organisée. L’étude McKinsey a mis en lumière certaines déficiences, notamment dans les systèmes informatiques et l’Internet. Investir était donc nécessaire mais il était manifeste que, si l’on augmentait les coûts, il fallait grandir pour demeurer suffisamment rentable. Cela tombait bien. C’est exactement ce que m’avait demandé Benjamin de Rothschild en me nommant. Son intuition était juste. Nous n’avions pas d’autre choix.

Quelle a alors été votre stratégie ?

Grandir sans changer de taille. J’avais un modèle en tête : celui de la somptueuse Compagnie bancaire du début des années 1980, alliant le brio des filiales et les forces du groupe. Aussi, aux côtés de notre filiale de gestion d’actifs qui marchait bien, nous en avons créé d’autres individualisées par métier : produits structurés, multigestion, fusions-acquisitions, capital-investissement, auxquels il convient d’ajouter l’international : Italie, Israël et Canada. La gestion de fortune, en fort développement, n’a pas été filialisée car c’est la banque elle-même qui exerce ce métier. Cette nouvelle organisation était la seule façon de garder la proximité des clients, la créativité, le dynamisme d’une PME tout en devenant un groupe important. Elle était aussi le moyen d’attirer et de conserver des talents puisqu’elle nous permettait d’associer le management au capital des filiales qu’ils animent.

Voilà pour les structures. Et pour l’activité ?

Notre première priorité a été d’éliminer le risque. Nous avons arrêté le crédit aux entreprises et l’activité d’options de change. Aujourd’hui, notre bilan est exceptionnellement sain et, n’ayant procédé à aucune acquisition, nous n’avons pas de goodwill à amortir. Les fonds propres durs du groupe Compagnie Financière Saint-Honoré s’élèvent à près de 300 millions d’euros. Parallèlement, nous avons opéré un recentrage sur les entreprises patrimoniales de taille moyenne, les « midcaps » en jargon professionnel. Tout ce que nous avons mis en place a été pensé pour elles et pour ceux qui les animent. La gestion de fortune, le conseil en fusions-acquisitions, le « private equity » sont organisés pour répondre à leurs besoins de midcaps. Même en gestion d’actifs, nos produits sont pensés pour résister à une baisse des marchés boursiers. Ils sont conçus pour des entrepreneurs appelés à prendre des risques dans leur vie professionnelle et qui ne veulent pas en surajouter dans leur vie personnelle.

Comment expliquez-vous alors l’échec de votre banque sur Internet, e-Rothschild ?

L’idée était bonne, comme l’ont montré les taux de retour à nos mailings. Mais nous avons joué de malchance. Notre première opération de communication a démarré le… 10 septembre 2001, la veille des attentats de New York et de Washington. Du coup, toute la phase de lancement s’est faite en période de baisse des marchés. Surtout, nous avons tenu compte de notre partenariat d’exception avec les conseillers indépendants en gestion de patrimoine, qui acceptaient mal notre démarche de marketing direct. Au second semestre 2003, nous avons préféré faire d’e-Rothschild un canal de notre banque privée, qui ne peut se passer d’un tel outil, efficace et moderne, pour les fortunes en cours de constitution.

Combien vous a coûté cette aventure ?

Quinze millions d’euros au total, qui ne sont d’ailleurs pas perdus. Par exemple, e-Rothschild a été un formidable aiguillon informatique, un moteur de progrès pour les process bancaires, l’apport d’une démarche commerciale nouvelle. Dans notre groupe traditionnel, le sang neuf et l’innovation sont vitaux.

Autre déception : votre coentreprise avec CDC Ixis…

Nous avions créé CDC Ixis-LCF Rothschild Midcaps pour nous positionner sur le marché des introductions en Bourse des midcaps. Or, avec la dégringolade des Bourses mondiales, ce marché s’est évaporé. Aujourd’hui, CDC Ixis rejoint les Caisses d’Epargne. Celles-ci souhaitent faire de notre belle entreprise commune un outil interne que nous continuerons d’utiliser de façon privilégiée.

Au total, comment tout cela s’est-il traduit dans les chiffres ?

Le montant des actifs sous gestion du groupe LCF Rothschild dépasse aujourd’hui 50 milliards d’euros, dont 15 milliards pour l’ensemble français, où la croissance atteint 20 % par an. Pour celui-ci, notre objectif est de collecter 1 milliard d’euros net par an. En 2003, nous avons atteint les 2 milliards. Et, fin avril 2004, le milliard était déjà dépassé. Nos filiales à l’étranger y contribuent à hauteur de 50 %. Depuis cinq ans, nos parts de marché, celles d’un groupe à taille humaine, augmentent significativement.

Et en termes de résultats ?

Les résultats consolidés du groupe LCF Rothschild fluctuent ces dernières années entre 100 et 150 millions d’euros. L’ensemble français représente, bon an mal an, un tiers du résultat total. Dire que nous avons déjà récolté tous les fruits de notre stratégie de développement serait inexact. Mais, après trois années d’investissements lourds dans une conjoncture difficile, tout est en place pour que ce soit le cas. Mis à part l’immobilier, à vocation purement patrimoniale, toutes nos activités de banque et d’assurance sont devenues très synergiques, en assurance-vie et bientôt en produits de retraite par capitalisation. La banque du Faubourg Saint-Honoré devrait renouer avec les 20 % de rendement annuel des fonds propres dès 2004-2005.

Une entrée en Bourse de l’établissement parisien est inenvisageable ?

Nous n’avons pas besoin d’argent. Je pense qu’une ouverture de capital minoritaire ne pourrait avoir de sens que dans le cadre d’une alliance stratégique apportant des synergies.

Pourriez-vous saisir la main tendue de vos cousins parisiens ?

Nous venons de trouver un accord amical avec eux sur la façon d’éviter la confusion des noms ! Ce rapprochement n’est pas d’actualité, les deux groupes réussissent très bien et l’effet de taille ne joue pas dans nos métiers, bien au contraire. D’ailleurs notre croissance, depuis l’arrivée de Benjamin de Rothschild aux commandes, est exceptionnelle.

Propos recueillis par Pierre-Angel Gay pour Les Échos