Retour

Tous actionnaires !

Publié le mardi 23 janvier 2018
Tribunes

Macron ose abaisser l’imposition du capital et la messe est dite : le voilà « président des riches » ! Qu’importe si l’exil des riches coûte cher à la France, et surtout à sa classe moyenne, puisque le financement des charges de l’Etat-Providence retombe sur ceux qui restent. Qu’importe si le coût de ces allègements à la marge pour l’ISF et plus encore pour le prélèvement forfaitaire unique ne représentent que quelques milliards comparés à nos 700 milliards de transferts sociaux, record mondial, même face aux démocraties sociales scandinaves. Qu’importe si la France, aujourd’hui championne du monde de l’imposition du capital, plus de deux fois la moyenne de l’Europe, pourtant social-démocrate, restera, même après l’application des réformes, un pays de taxation élevée du capital. L’opinion raisonne en variation, non en niveau absolu. Que Macron s’efforce d’atténuer la punition de « l’ennemi sans visage » est un péché… Capital !

Pourtant il y a un vrai problème : l’écart des richesses entre détenteurs du capital et classes moyennes a vocation à se creuser. Les entrepreneurs de la nouvelle économie constitueront de plus en plus vite des fortunes de plus en plus importantes. Et les classes moyennes dans les pays matures sont de moins en moins bénéficiaires de la mondialisation. Car elle n’a été source de progrès que pour celles des pays émergents dont l’enrichissement s’est fait, en partie, au détriment de leurs homologues américaines et européennes.

Or le nouveau tsunami, celui de l’intelligence artificielle, sera bien plus redoutable que la main d’œuvre chinoise. Car, à la différence des précédentes révolutions technologiques, elle menace l’emploi qualifié, épargné jusqu’ici, et allume ainsi un risque de guerre mondiale des classes, liée à l’inégalité croissante entre une minorité de détenteurs de capital et la masse des classes moyennes en voie de prolétarisation.

Face à ce risque grave, la surtaxation du capital n’est pas la solution. Elle est un enfer économique et financier pour qui la pratique en solitaire, comme la France aujourd’hui. Ce ne pourrait être qu’une solution mondiale, partout ou nulle part, donc en réalité impossible. Car il suffirait qu’un pays, un territoire, une île ne joue pas le jeu pour que ce système s’écroule.

Même si la France parvenait à partager sa surtaxation avec toute l’Europe, les conséquences seraient graves, puisqu’il faut que l’Europe investisse pour créer ses propres géants du numérique face aux USA et à la Chine. A quand une grande européenne pour se mesurer à Amazon ou Alibaba qui se disputent la place de premier groupe qui pèsera 1000 milliards de dollars en bourse ? La France peut et doit être le leader d’une grande ambition digitale européenne, et pour ce faire mobiliser des capitaux. D’où l’urgence de la réforme de l’impôt sur le capital. Une urgence pour l’équilibre du monde car la nouvelle mondialisation est un affrontement de blocs, où la France et l’Europe sont menacées de passer leur tour.

Mais pour développer, cette puissance digitale européenne il faut absolument maîtriser les inégalités et leur perception. Et puisque la taxation mondiale du capital est irréaliste, on doit inventer une réponse vertueuse qui aligne les intérêts du travail et du capital pour gravir ensemble les marches du nouveau monde. Celle-ci repose sur deux jambes : évidemment le développement de la formation prôné par M. Macron ; et la popularisation du capital selon la piste ouverte par le Président évoquant la grande idée Gaullienne de la participation. Car les inégalités dans le monde se creusent entre ceux qui investissent en actions et les autres. Diffuser le capital dans les classes moyennes et populaires c’est aligner leurs intérêts avec l’intérêt général et celui des entrepreneurs de la nouvelle économie. Or les Français ont déserté la bourse, à la différence des Américains, pour plus de la moitié d’entre eux, et des Chinois, qui investissent massivement en actions.

On pourra tergiverser inlassablement sur les technicalités, d’autant que, le patronat et les syndicats sont hostiles à l’actionnariat salarié qui menace leur pouvoir, et qu’à l’évidence ce capital doit être accordé gratuitement, ce qui suppose une très forte incitation publique.

Compte tenu de l’importance considérable des sommes en jeu ce projet ne peut être qu’européen.

Pour amorcer ce thème, et ainsi prolonger son initiative, la France pourrait proposer une première source de financement de l’actionnariat populaire avec la fiscalisation des fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) par l’ensemble des pays européens. Face à cette nouvelle frontière, mobilisant nos peuples sur un véritable enjeu planétaire, les égoïsmes nationaux qui rechignent à taxer les géants du numérique finiraient peut-être par s’effacer. Ce serait une belle façon de redresser notre Europe à la française.