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« Quand je fais de la banque, je peins »

Publié le lundi 4 août 2008
Portrait

« Je n’aime pas le concept de musée, comme je n’aime pas les salles de concert. C’est scandaleux ce que je dis, mais je vais jusqu’au bout : j’aime bien avoir une intimité avec les œuvres d’art. La solennité ne me convient pas bien. »

Celui qui s’exprime ainsi sans détour et l’œil rieur, c’est Michel Cicurel, président de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, qui compte de multiples tableaux sur les murs boisés de son bureau :

« Ce sont des tableaux soit cubistes, soit fauves, soit impressionnistes. C’est ça que j’aime. » La peinture contemporaine, c’est autre chose : « J’ai un peu de mal à classer cela dans les œuvres d’art ou dans la peinture : je mettrais plutôt cela dans l’exploitation des nouveaux riches qui cherchent à se faire une place dans la société. Pour moi, la peinture s’est arrêtée à Bacon. »

Un joli compliment de son père

Pour autant, qui voudrait cambrioler son bureau en sortirait déçu. Car ces tableaux, il les a choisis « chez Troubestkoy, qui fait des copies admirables et remarquables ». Les toiles qui égaient son quotidien n’ont donc rien d’un placement : « Même si j’ai un actionnaire qui a des très beaux tableaux vrais, j’ai trouvé que c’était compliqué de dépenser des dizaines de millions d’euros pour décorer mon bureau», s’amuse Michel Cicurel. « J’ai donc choisi des copies chez Troubestkoy, qui, avec le cadre, doivent valoir moins de 2.000 euros. C’est quand même très sympa de pouvoir choisir les peintures qu’on aime dans un catalogue. » D’autant qu’il reconnaît ne déceler « aucune différence entre l’original et une copie bien faite. Ce qui me plaît, c’est ce que je vois. » Michel Cicurel accorde aussi une place à la peinture dans sa vie privée, puisque c’est un art auquel il s’adonne occasionnellement : « Quand je peins, je ne pense vraiment à rien d’autre. Il n’y a pas beaucoup d’activités en dehors du travail qui permettent de faire complètement le vide autour de soi. » Il peine à décrire précisément ce qu’il ressent, mais il tente d’expliquer : « J’ai quelque chose dans la tête que j’ai envie de mettre sur une toile. En réalité, toute ma vie est comme ça : quand je fais de la banque, je peins. J’ai envie de créer quelque chose et de le rendre concret. J’y arrive probablement mieux dans la banque que dans la peinture », reconnaît-il en souriant.

Cette passion pour la peinture lui vient d’un joli compliment que lui avait adressé son père : « Mon premier tableau qui a été encadré, je l’ai fait quand j’avais sept ou huit ans. C’était une femme avec un visage très long, toute blanche, avec des mauves et des parme. Mon père me dit : «On dirait un Modigliani.» Il m’a acheté un petit livre avec Modigliani. J’ai été complètement fou de Modigliani et je le suis toujours. Après, j’ai essayé de faire des Modigliani, mais ce n’était pas vraiment ça. »

Son père, Raymond Cicurel, décédé voilà quelques mois, était un musicien « exceptionnellement doué» : «Il avait, à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, son orchestre de jazz. C’était un trompettiste blanc, il a joué avec Django et avec Grappelli. Après la guerre, il s’est passionné pour la musique dodécaphonique. » Michel exclura donc d’emblée une carrière dans la musique : « Quand on a l’exemple d’un surdoué dans la famille dans une discipline, on en essaie plutôt une autre. »

Portrait publié dans Les Échos