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Pourquoi les classes moyennes des nations occidentales ont les nerfs à vif

Publié le lundi 26 juin 2017
Tribunes

2017 commence comme 2007, dans l’exubérance irrationnelle. La fort belle humeur des bourses reflète une sorte d’euphorie générale que rien n’altère. Ni le Brexit, ni Trump, ni l’Islam radical, ni Poutine, qui ridiculise l’Occident, ni les tensions commerciales avec la Chine, ni le divorce économique et politique du couple franco-allemand, ni l’asymptote de la croissance mondiale sous drogues monétaires à haute dose.

Pourtant, la vraie menace est ailleurs et risque de se précipiter en 2017 : il s’agit de la grande peur des classes moyennes. Elle grandit depuis un quart de siècle, mais un massif arrosage monétaire lui a évité de prendre feu.

La mondialisation a fracassé la lower middle class des pays développés, ouvriers et employés de l’industrie, mais l’argent facile a permis jusqu’ici d’éviter la déflation, la faillite des Etats Providence, et donc l’explosion sociale. La crise des subprimes, que l’opinion adore attribuer à la cupidité des banquiers, n’a été que la première secousse d’une inondation monétaire pour masquer le traumatisme de la classe moyenne américaine bousculée par la Chine. Quoi de plus rassurant que la propriété individuelle du toit familial ? Il aura fallu ouvrir plus grand encore les robinets monétaires pour guérir la crise, et franchement il n’y avait guère le choix. Mais nous sommes au bout de l’apaisement par les liquidités. Les banques et assurances sont ruinées par l’argent gratuit. Or la sortie des taux zéro est un étroit chemin de crête : on y reste et le système financier explose ; on en sort radicalement, et l’économie s’effondre. Combien de temps les banquiers centraux sauront-ils jouer les funambules ?

Cependant la fin de la drogue monétaire tombe mal pour nos classes moyennes anxieuses, car elles vont subir un nouveau tsunami, celui de l’intelligence artificielle qui va dynamiter le travail qualifié, le seul qui ait survécu à la concurrence émergente.

Depuis deux siècles, les travailleurs avaient appris à tolérer le progrès technique qui, en solvabilisant la demande, élimine moins d’emplois qu’il n’en crée. Avec le big bang numérique, c’est la première fois que le cercle vertueux de l’emploi devient vicieux et que s’ouvre l’hypothèse d’une disparition massive du travail de l’homme. Le robot tue les emplois de cols bleus dans les pays émergents, et l’intelligence artificielle ceux des cols blancs à valeur ajoutée dans les pays avancés. Tout le système d’ascenseur social par la formation qui a porté l’espérance des classes moyennes dans les pays riches puis dans les pays émergents est en danger. Ce bouleversement planétaire laisse présager un climat bien sombre : protectionnisme, nationalisme, rejet de la démocratie, tensions internationales… Le Brexit ou Trump pourraient n’être que l’apéritif d’un raz-de-marée national-populiste, comme un retour aux funestes années 30, et pour les mêmes raisons. Le rejet de l’immigration n’est pas le cœur du problème, mais le symptôme d’une fracture profonde, à la recherche d’un bouc émissaire.

Et pourtant, qu’on le veuille ou non, la planète sera numérique parce que rien ni personne ne peut faire barrage à un tel progrès. D’ailleurs nombre de fardeaux insurmontables ne seront allégés que grâce à la formidable efficacité de ces nouveaux outils. Par exemple, seul le numérique permettra l’excellence à bas prix de l’éducation et la santé, les deux postes les plus lourds de l’Etat Providence surendetté, qu’il faut sauver pour la protection de ceux que le numérique aura touchés. La santé et l’éducation de ces milliards de jeunes du tiers-monde, de l’Afrique notamment dont la population va doubler, ne peuvent être adressés, hors des solutions numériques. Nous sommes déjà bouleversés par quelques centaines de milliers de réfugiés, que ferions-nous de centaines de millions frappant à nos portes ?

Dans cette planète numérique, ne survivront que les meilleurs. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont écrasants. La hausse de la bourse américaine a reposé presque exclusivement, ces dernières années sur les fameux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). L’Europe doit refuser un tel monopole, et la France ne peut qu’être centrale dans ce jeu de blocs de puissances qui s’annonce. La France, surdouée dans les disciplines numériques, à base de mathématiques. La France qui porte la seule Défense Nationale crédible en Europe, dont chacun sait qu’elle est la source de la nouvelle économie (Etats-Unis et Israël). La France, finalement réformée, pour rendre son souffle au moteur franco-allemand et impulser le grand projet numérique européen, équivalent de celui de Trump pour les infrastructures. La France, qui a si mal géré le désarroi des taxis face aux VTC, bientôt sans chauffeurs, mais saura certainement conduire la transition dangereuse entre l’ancien et le nouveau monde parce qu’elle garde toujours un pied ferme dans chacun. La France, enfin, qui aime se faire peur en jouant aux extrêmes, mais n’a jamais cessé de garder son profond équilibre politique, aujourd’hui et demain, comme hier.