Le sourire de la mondialisation
Publié le mercredi 19 janvier 2011Les ingrédients de la situation économique et financière mondiale sont au comble de l’enchevêtrement. L’équilibre de la planète s’apparente au jeu de Mikado où le retrait d’une seule baguette peut faire s’effondrer tout l’échafaudage. Les marchés financiers, qui perçoivent bien l’imbroglio global, sont fébriles et surréagissent au moindre battement d’ailes de papillon suspecté de déclencher la tempête à l’autre bout du monde. Pourtant, après plus de trois ans de crise violente, l’œil s’accoutume à cet enchevêtrement complexe et pourrait bien déceler le bout du tunnel.
L’économie réelle ne va pas mal
Et d’abord, parce que l’économie réelle ne va pas mal. Bien sûr, le chômage en Europe et aux États-Unis demeure élevé. Mais il n’a pas dépassé le niveau de la crise de 1993, bien plus banale, et l’emploi emboîtera, avec le décalage habituel, le pas de la croissance mondiale, repartie à la hausse à un rythme encourageant.
Certes, l’économie mondiale convalescente est encore sous traitement. Certes, les banques centrales recourent aux armes non conventionnelles, spontanément et massivement pour la FED, à contrecœur pour la BCE. Mais les entreprises à spectre global des principaux indices boursiers se portent plutôt bien. Elles jouissent d’un monopole absolu au sein de la planète surendettée, celui du bilan parfaitement sain, et affichent de bons profits durables. Or, elles forment le cœur du réacteur qui amorce le cercle vertueux d’une croissance non assistée.
Au plan macroéconomique, la mondialisation a fait merveille. Les émergents, Chine en tête, ont provisoirement pris le relais de la croissance mondiale. Mais si les Bric en portent plus de 50 %, la seule vraie locomotive de l’économie mondiale demeure, pour longtemps, les États-Unis. La Chine, loin de le devenir, est le tender des États-Unis et plus discrètement de l’Europe, et ne peut donc laisser s’effondrer ni l’un ni l’autre de ses grands clients. Au moment où elle doit freiner sa demande interne car l’inflation est autant que le sous-emploi une plaie pour l’empire du Milieu, il ne faut pas que le moteur américain s’enraye. Or la croissance et le consommateur sont de retour aux États-Unis, avec des béquilles, certes, mais 2011 devrait être de bon augure. Quant à l’Europe, qui paye les décennies laxistes de son État-providence, elle n’évitera pas la cure d’austérité mais profitera de la reprise de l’Allemagne, remarquable tender, elle aussi, du couple sino-américain. Ainsi, la croissance mondiale encore sous assistance respiratoire retrouve les ressorts naturels de la guérison.
La crise globale engendre une solidarité globale
Pourtant, ce joli sentier de croissance serpente au cœur de l’Himalaya des dettes publiques entre les précipices abyssaux du dollar et de l’euro. La crise systémique globale affecte durablement tous les piliers du système, et nombre de risques majeurs sont devant nous. En premier, le système monétaire international qui se lézarde. L’euro, aujourd’hui malmené, le sera sans doute encore en 2011. Mais quid du dollar ? Les États-Unis ont mal digéré l’euro, seul capable de rivaliser avec le dollar et de lui interdire de battre monnaie impunément et sans limite. Le dollar, unique monnaie mondiale qui vaille aujourd’hui, est un colosse aux pieds d’argile. Pour la première fois, les États-Unis s’enfoncent dans leurs déficits jumeaux devenus incontrôlables, alors que la zone euro ne souffre pas de déficit extérieur. Et, pire que les Pigs (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) européens, la faillite de la Californie, huitième économie du monde s’il s’agissait d’un État indépendant. Le dollar progressera en 2011, mais combien de temps encore fera-t-il illusion ?
Ce que Clochemerle de tous les pays a vu de sa fenêtre depuis le début de cette crise globale, c’est la contagion mondiale : une crise d’origine spécifiquement américaine a ravagé le système bancaire de la planète. Aujourd’hui, c’est une crise européenne, celle de la dette souveraine des États périphériques de la zone euro, qui pourrait à son tour le déstabiliser.
Pourtant, il apparaît un fait nouveau : la crise globale engendre une solidarité globale. Aucun État, aucune zone économique, aucune grande institution ne peut laisser s’effondrer l’enchevêtrement du Mikado. L’Allemagne ne peut se passer de l’euro, et les États-Unis l’encouragent à modérer sa volonté d’austérité. La Chine finance les déficits américains mais commence à veiller aussi sur les maillons faibles de la zone euro. Le monde s’émeut de la sous-évaluation du yuan mais comprend qu’une forte réévaluation serait mortelle pour la Chine, menacée par des voisins plus compétitifs. Bref, devant une crise mondiale s’installent inévitablement des solidarités intéressées.
L’expliquer aux Clochermerlins n’est pas simple. Il est réconfortant que les gouvernements affaiblis par la crise, malmenés par les tentations national-populistes de populations fatiguées n’aient à aucun moment cédé à la déraison du repli sur soi. Fatalement, les grands risques menaçant plus que jamais la planète seront progressivement pris en charge par la communauté internationale parce que c’est l’intérêt de chacun. Ce qui fait la différence avec la crise des années 1930. Et le premier motif d’espérance.
Le monde ne se rétablit pas, il change
Le monde ne se rétablit pas. Il change. En un demi-siècle, la population mondiale progressera de 50 %, passant de 6 à 9 milliards. Brutalement, la finitude des ressources de la planète nous saute aux yeux. Tant le dérèglement climatique que les terres rares se rappellent à notre bon souvenir. Après l’emballement de croissance artificielle au tournant du siècle, où les ressources semblaient inépuisables et l’horizon trop rapproché, tout s’inverse. Le temps du monde fini est commencé, et le souci de la durée s’installe. Il est flagrant, bien au-delà de la finance, que les problèmes et les solutions sont planétaires. L’égoïsme ne recule en rien, mais il devient forcément mondial. Il est probable que les opinions vont commencer à répondre au sourire, jusqu’alors suspect, de la mondialisation.
Les grands risques menaçant plus que jamais la planète seront pris en charge par la communauté internationale; c’est l’intérêt de chacun. Ce qui fait la différence avec la crise des années 1930. Et le premier motif d’espérance.
Tribune publiée dans Le Figaro.