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La fin de la mondialisation sonnerait la fin du monde

Publié le jeudi 31 octobre 2019
Tribunes

Au XXème siècle, les récessions ont connu deux causes : des « cygnes noirs », par définition imprévisibles, venant percuter l’économie mondiale, tels l’implosion du système bancaire en 1929 et en 2008 ou le choc pétrolier en 1973 ; ou le plus souvent, la fin de cycle selon le cercle vicieux décrit par la courbe de Philips : plein emploi, hausse des salaires, inflation, hausse des taux d’intérêt, baisse de la demande, d’abord les investissements, puis la consommation, ralentissement de la croissance, et parfois récession.

Or il est clair qu’aujourd’hui cette fin de cycle classique n’est pas amorcée puisque le chômage aux Etats-Unis, historiquement bas, ne déclenche ni inflation salariale, ni hausse des taux. Les taux nominaux bas, voire négatifs, deviennent, si l’on peut dire, monnaie courante. Et tout cela, sans doute pour longtemps. Le « bargaining power » des travailleurs est anéanti. Depuis trente ans, les travailleurs occidentaux font face à la concurrence des ouvriers chinois, dont le salaire a fini par s’élever, et désormais ils affrontent les robots, cols bleus et cols blancs confondus, dont le « salaire » ne fera que diminuer. Ni le coût du travail, ni les prix, ni le loyer de l’argent ne s’élèveront significativement, et cela peut-être jusqu’à la fin du siècle.

Le ralentissement mondial actuel a donc une cause inédite : c’est, pour la première fois depuis la dernière guerre, un ralentissement sévère du commerce mondial, principal moteur de la croissance depuis la dernière guerre. Au premier semestre, les pays industrialisés n’ont accru leurs exportations que de 0,2%. On incrimine, à tort, la gesticulation de Donald Trump qui n’est qu’un symptôme. Ce qui s’annonce est un danger majeur pour l’équilibre du monde, car il s’agit du mouvement d’opinion mondial puissant qui veut anéantir la mondialisation libérale et capitaliste. C’est une conjuration plurielle, antimondialiste, antilibérale et anticapitaliste portée par une part croissante de l’opinion populaire, entre le national-populisme des aînés, et l’écologisme politique, vert dehors, rouge dedans, nouvelle religion de la jeunesse.

Ce mouvement est profond car la mondialisation libérale qui a suivi l’effondrement du communisme il y a trente ans a accentué les inégalités dans les pays riches, profitant plus aux entreprises et à leurs actionnaires qu’aux salariés. Désormais, même les élites favorisées se piquent de désavouer le libéralisme capitaliste, comme si les systèmes alternatifs n’avaient pas conduit à la ruine économique et politique.

Or, pour adresser les défis majeurs qui menacent la planète dans les décennies à venir, il faudra plus de mondialisation et plus de capital. Tous les grands défis ne pourront être traités qu’au niveau mondial avec des capitaux à risque. Non seulement la menace climatique mais aussi le bouleversement démographique. En un peu plus d’un demi-siècle, la population mondiale aura doublé de taille, passant de 5 milliards d’habitants (7 aujourd’hui) à 10 milliards en 2050. Cette explosion démographique, sans précèdent et non reproductible, concerne les pays pauvres. D’abord l’Afrique qui passerait d’un milliard à 2 ou 2,5 milliards, l’Inde et le subcontinent indien, le monde musulman… En face, la population des pays avancés stagne, commence même à régresser et vieillit. Or aucun moteur ne propulse mieux la croissance que la démographie, nombre et jeunesse. En somme, si les pays riches se ferment, non seulement ils déclineront économiquement mais ils subiront une pression migratoire d’une ampleur redoutable que seules les armes pourraient affronter. A l’évidence, c’est l’Europe fragmentée face à l’Afrique pas encore émergente qui serait gravement menacée. Elle se doit, comme le Président Macron bien seul tente de le faire, de dénoncer la démondialisation. Jamais il n’aura été aussi nécessaire d’ouvrir et de coordonner les différentes parties du monde pour assurer la croissance économique, la modération des mouvements migratoires et le relèvement des défis majeurs, changement climatique en tête. Le nationalisme de fermeture et l’écologisme radical qui prônent ensemble l’économie de Clochemerle sont primitifs et suicidaires.

Le capitalisme mondial devra être mobilisé pour financer les réponses aux défis du monde : énergies durables, smart-city, santé des vieux dans les pays riches, éducation des jeunes dans les pays défavorisés, développement autonome de ces pays pour éviter l’immigration désespérée et désordonnée, etc… Or la mondialisation capitaliste est prise à partie par les perdants du nouveau monde, qui ont oublié ce qu’elles ont gagné comme consommateur, et non ce qu’elles ont perdu comme travailleur. Il faut donc veiller comme le lait sur le feu au sort des classes moyennes, qui ne souffrent pas seulement dans leurs revenus mais aussi dans leur épargne. Car le placement sans risque ne rapporte plus rien, voire moins que rien. L’euthanasie du rentier est en marche, comme entre les deux guerres. Si les classes moyennes et populaires subissent la double peine face à l’enrichissement spectaculaire des gagnants du nouveau monde, la révolte menace.

Plutôt que de tuer le capital, c’est donc une urgence politique de le populariser. Puisque seul le risque devient rémunérateur, et qu’à l’évidence il faut un patrimoine pour l’affronter, la nouvelle mission des Etats Providence devrait être de prendre en charge le risque pour le compte des classes moyennes. Il ne s’agirait que d’engagements hors bilan, non de dépenses, car les investissements non côtés dans les secteurs fortement créateurs de valeur comme le numérique ne sont en réalité qu’un risque apparent. Si l’Europe, qui en a parfaitement les moyens, couvrait ce risque du nouveau monde, au-delà de ceux de la Sécurité Sociale de l’après-guerre, elle lutterait bien plus efficacement contre le populisme. Car l’Europe est menacée de l’intérieur par ses peuples, et de l’extérieur par les supergrands. Il est grand temps qu’elle offre aux siens ce projet vital et enthousiasmant de constituer ensemble la troisième puissance technologique mondiale aux côtés des Etats-Unis et de la Chine.