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Face à face: Faut-il oublier le déficit pour sauver la croissance ?

Publié le mardi 25 novembre 2014
Tribunes

Michel Cicurel, président du groupe La Maison et Banque Leonardo

Les économistes, Bruxelles, le FMI, les marchés financiers, la gauche, la droite, l’ensemble des français, tout le monde le sait : trop, c’est trop !

Pour 2000 milliards de revenu national annuel, 2000 milliards de dette publique, environ 1200 milliards de dépense publique, ou 1000 milliards de prélèvements obligatoires ou encore 100 milliards de déficit, c’est trop. Chacun rivalise d’audace sur le montant des économies. La gauche abandonne enfin sa vieille tradition dépensière. Tout le monde, donc, s’accorde plus ou moins sur ce qu’il faudrait faire. Mais personne ne sait comment le faire.

 

Or une baisse brutale de la dépense publique française est irréaliste. La France est droguée à la dépense publique depuis longtemps et souffre de 40 ans de déficits publics ininterrompus. On peut rêver aux 100 milliards, comme le font les responsables politiques de droite, lorsqu’ils sont dans l’opposition, ou faire des promesses de gascon sur les 50 comme la gauche au gouvernement : aucun responsable politique n’ose préciser les coupes sombres. Parce qu’aucune n’est envisageable sans secousse. Par exemple : la gauche et la droite s’attaquent virtuellement au millefeuille territorial, sans visualiser 200 000 élus locaux, vent debout contre la réforme, alors que même le Général de Gaulle s’y est cassé les dents en 1969 !

En réalité, le rapport Pébereau n’a pas pris une ride. Il faut stabiliser la dépense publique pendant 10 ans, sans s’interrompre et encore moins rebrousser chemin. Et pour redonner vie à notre économie asthénique, il faut d’abord baisser massivement la pression fiscale, en sacrifiant un instant de réforme le fétichisme du déficit. Faire vraiment les 50 milliards d’économie promise par la gauche, et réduire la charge fiscale de 100 milliards, ce qui, dans l’immédiat, aggrave le déficit de 2,5% du PIB.

 

Dans une Europe glaciaire et une France comateuse, on ne peut rétablir l’équilibre uniquement par la réduction des dépenses : il faut favoriser la croissance par une politique de l‘offre de grande envergure et de grande urgence, qui passe forcément par une forte baisse de la fiscalité de l’offre, seule capable d’agir vite, tant par sa mise en œuvre que par son impact. Toute autre grande réforme structurelle, comme celle de la réglementation du travail, est une œuvre de longue haleine des partenaires sociaux et des élus.

L’allégement fiscal doit être concentré sur deux cibles : la production, bien plus que l’actuel projet gouvernemental, qui se contente de redonner à nos entreprises exsangues l’air confisqué précédemment; et le rendement du capital, surtaxé à la folie, souvent au-delà de 100%, pour financer l’investissement productif anémié, car le monde entier lit Piketty, mais seule la France le met en œuvre. Très vite, les impôts rentreront, car la fameuse loi de Laffer fonctionne aussi dans le sens vertueux : moins d’impôt crée l’impôt !

La France peut-elle s’offrir le luxe d’une telle audace fiscale ? Qui nous l’interdirait ? Les marchés financiers ? Bien-sûr que non ! S’ils nous prêtent à 10 ans juste au-dessus de 1%, c’est qu’ils savent que la France ne fera jamais défaut. La France reste la 5ème puissance mondiale, qui offre un gage robuste au crédit international. Et d’ailleurs, l’épargne nationale surabondante pourrait prendre en charge la totalité de notre dette publique. Après tout, les épargnants japonais financent sans problème une dette publique double de la nôtre !

Alors l’Union Européenne se fâcherait-elle vraiment ? Certes le fait que le couple franco-allemand soit le cœur de l’Europe n’exonère ni l’un, ni l’autre de respecter ses engagements internationaux. Mais il y a des circonstances exceptionnelles, d’ailleurs prévues par le pacte de stabilité. L’Allemagne de Schröder en a bénéficié le temps de conduire les réformes. Pourquoi pas la France ? Bruxelles ne peut fermer les yeux sur les manquements, mais fera évidemment preuve de pragmatisme, en tenant compte des réalités françaises en échange d’un programme de redressement économique crédible. Mais pour qu’un tel programme soit pris au sérieux, il faudrait un Président français crédible. Et, même avec un gouvernement en progrès, c’est là que le bât blesse.

 

Michel Camdessus, ex-directeur général du FMI

Charme discret des avant-premières ! Je reçois simultanément le projet de billet d’humeur auquel Michel Cicurel souhaite que je réponde et un beau livre : « L’espérance d’un Européen » de François Villeroy de Galhau. Tous deux s’ingénient à trouver, face à l’état désastreux de nos finances publiques et à l’intolérable mais résistible augmentation pyramidale de notre dette, « des solutions pour nous, Français ».

Michel -peut-être en désespoir de cause- en vient à proposer une médecine paradoxale par excellence. Une « France comateuse » ne pourrait supporter des « coupes sombres » dans son budget ; commençons donc par « favoriser » la croissance par une « politique de l’offre de grande envergure » dont une réduction de la charge fiscale de 100 milliards serait la pièce maîtresse, au risque d’aggraver le déficit et donc la dette de 2,5 % du PIB. C’est soigner le mal par le mal. Certes, les marchés s’en accommoderaient peut-être. Mais qui nous suivrait ? Nos partenaires européens ? Ce serait pour eux à n’y rien comprendre. Les épargnants à hauts revenus appelés à démontrer que la loi de Laffer jouerait automatiquement à la baisse comme à la hausse ? Il est difficile de parier sur leur naïveté. Voyant un tel cadeau tomber du ciel, on peut craindre qu’ils ne se hâtent de l’empocher sans changer leurs comportements d’investissement, sachant très bien qu’une telle aubaine ne saurait être durable.

Suffirait-il pour rendre cette approche crédible de l’associer à une autre thérapie budgétaire, celle de la « médecine douce » : stabiliser la dépense publique pendant dix ans ? Nous l’avions, en effet, recommandée en 2008 avec le rapport Pébereau ? Hélas, les gouvernements successifs n’en ont rien fait. L’idée de l’étalement de l’effort dans le temps était juste. Elle reste essentielle mais désormais la situation est trop dégradée pour que la simple stabilisation suffise. L’heure est plutôt aujourd’hui à une troisième thérapie : celle des urgentistes. Ceux-ci ne disserteront pas sur le meilleur dosage des potions à recommander, ils s’attacheront à arrêter tout de suite une hémorragie chronique depuis quarante ans. Aucune stratégie ne peut être crédible aujourd’hui qui ne consisterait dans l’immédiat, c’est-à-dire pour les trois ans qui viennent, en un effort enfin convaincant de réduction de la dépense publique. Une telle approche nous priverait-elle de l’effet de stimulant artificiel d’un maintien de la dépense au niveau atteint ? Peut-être. Mais l’expérience de nos voisins nous montre que ce « trou d’air » probable serait vite plus que compensé par le rétablissement de la confiance qu’aucune autre approche ne saurait aujourd’hui provoquer. Les choix courageux du gouvernent actuel ne peuvent, hélas, y suffire. Des décisions devraient les amplifier pour confirmer la portée du changement de cap engagé. La réduction effective de la dépense publique au-delà des 50 milliards annoncés et une véritable stratégie visant à donner à l’État l’agilité qu’il a perdue devraient en être le centre. Il en va de la durabilité de notre modèle social. Car le problème est bien là : ce modèle n’est pas tellement plus généreux que celui de nos partenaires, mais il est parmi les plus coûteux. Nous aurions, selon François Villeroy de Galhau, plus de 150 milliards d’euros de surcoût annuel pour des services globalement équivalents. « L’autre anomalie française, dit-il, c’est l’évolution de ces coûts publics : alors que l’Allemagne les a fait reculer régulièrement depuis 1996, de 49 à 44,5 % du PIB, la France les a laissés augmenter de 54,5 à 57 %. Résultat : nous avions à l’origine 5 points de PIB d’écart avec l’Allemagne ; nous avons aujourd’hui plus de 12 points d’écart. C’est un incroyable handicap en matière d’endettement, de prélèvements, de compétitivité, que nous avons laissé ainsi s’accumuler en moins de vingt ans ».

Voilà le mal contre lequel le pays tout entier, à commencer par sa fonction publique et ses élus, doit être mobilisé. Cessons de redouter leur passivité, voire leur hostilité à tout rétrécissement de la sphère publique ou de leurs moyens d’action. Ce serait faire offense à leur sens de l’État et à leur patriotisme que de ne pas les inviter à mettre toutes leurs compétences et leur créativité au service d’une politique visant à promouvoir le bien commun à un moindre coût. D’autres pays (faut-il les nommer : Suède, Finlande, Allemagne, Canada, Royaume-Uni) en fournissent des exemples éclairants. Au cœur de leurs stratégies, la réduction de la dépense publique a assuré pour l’essentiel l’ajustement nécessaire dans des proportions équivalente et parfois supérieure à l’effort de l’ordre de 10 points de PIB qu’il nous faut réaliser. Nos partenaires l’ont fait. Au nom de quoi prétendre que nous en serions incapables ?

Un tel effort peut requérir pour les trois prochaines années l’arrêt complet des recrutements de la fonction publique et une baisse en francs courants des dotations de chacun des quinze ministères. Ce ne serait pas trop cher payer le retour sur un sentier durable de reprise, la réapparition de marges autorisant le lancement des suggestions stimulantes que François Villeroy de Galhau énumère pour le plein emploi des jeunes et, en son terme, la pièce maîtresse de la politique de l’offre de Michel Cicurel : une judicieuse politique de baisse de l’impôt.