En même temps
Publié le mardi 8 janvier 2019C’est « en même temps », non dans un piètre compromis mollasson mais dans un alignement d’intérêts puissants, qu’il faut soutenir fortement, et les revendications des gilets jaunes, et le cap d’Emmanuel Macron.
S’agissant des gilets jaunes, ils ont pris le temps avant de manifester leur désarroi. Depuis plus de vingt ans, l’excellent Christophe Guilluy alerte sur cette France périphérique des classes moyennes populaires disséminées sur nos territoires, dans les zones rurales et les villes de moins de 10 000 habitants, qui représenteraient 60% de la population française.
Quant au cap du président Macron, il n’y a tout simplement aucune alternative. Aucune tentative divergente n’a survécu sans manger son chapeau : Tsipras, maître à penser de Mélenchon, l’Angleterre du Brexit ou l’Italie des extrêmes. Seul Trump a réussi, à la tête d’une super puissance qui pratique le national-capitalisme.
Il est vital que notre Président persuade deux français sur trois, aujourd’hui hostiles, que c’est pour eux, exclusivement pour eux, qu’il roule. Son ambition pour la France protège l’immense majorité du peuple français, mais les mots ne suffiront plus pour convaincre. Macron veut apprendre à la France à pêcher plutôt que de l’appâter avec quelques poissons. Il faudra les deux.
C’est cet exercice délicat qu’il va falloir conduire dans les mois à venir avec une obsession : l’alignement d’intérêts. Pour nourrir le débat, il faudra deux renoncements et deux priorités.
D’abord, un renoncement majeur mais passager sur les dépenses publiques. Il est impossible de conduire de grandes réformes structurelles et simultanément de sabrer dans l’Etat- Providence. Notre puissant système de redistribution, champion du monde avec 800 milliards par an de transferts sociaux, ne peut être touché avant que la réforme de l’économie marchande n’ait porté ses fruits en termes de création de richesses, d’emplois, et de pouvoir d’achat. Et le déficit ? Gageons qu’un programme de dérapage contrôlé ne sera disqualifié ni par l’Europe, qui n’existerait plus sans nous, ni par les marchés financiers, tous deux inquiets des gilets jaunes et de l’interruption des réformes, bien plus que d’un surcroît passager de déficit et de dettes. C’est ce qu’a magnifiquement fait Gerhard Schröder permettant ainsi à Angela Merkel de rester treize ans aux commandes et à l’Allemagne de surpasser la France en faisant la leçon à tous. Et si ce dérapage furtif commençait par un relâchement de la pression sur les collectivités, le trop coûteux mille-feuille territorial servirait au moins à rapprocher la dépense des populations des territoires.
Le deuxième renoncement, c’est la désacralisation de l’âge de la retraite. La France doit réduire d’environ 8 points de PIB (200 milliards) les dépenses et prélèvements pour s’aligner sur la moyenne européenne. Les retraites en pèsent la moitié. Cela grève de charges les salaires donc l’emploi et le pouvoir d’achat des actifs. Il n’empêche que c’est pure folie politique de cogner sur les retraités actuels qui sont le cœur de la classe moyenne modérée. Les cotisations étant déjà excessives, il n’y a d’autre option pour assurer la survivance du système par répartition que d’en allonger la durée, ce qui est parfaitement compatible avec l’excellente réforme de la retraite à points. Il faut se saisir de la rage des gilets jaunes chenus pour expliquer cette équation malheureusement intransigeante : soit la baisse des retraites, soir le recul de l’âge. Voilà un beau thème de référendum !
Quant aux priorités, la première est de loin la croissance qui reste la clé de tout. Il manque depuis longtemps 1 point de croissance annuelle, 25 milliards de création de richesses et 10 à 15 de recette publique. Toute la croissance vient des entreprises, donc du travail et de l’investissement. Le travail, d’abord, malmené depuis des décennies par l’excès de charges et de graves contre-sens comme la retraite à 60 ans, ou les 35 heures qui pénalisent le pouvoir d’achat depuis près de 20 ans. Le capital, ensuite, dont la taxation reste élevée après avoir été confiscatoire (plus du double de la moyenne européenne). Qu’on le veuille ou non presque tous nos concitoyens investissent leur épargne sans risque, et d’ailleurs sans rendement, en livret ou fonds euros. Ce sont les plus aisés qui investissent à risque pour nos entreprises.
C’est la raison pour laquelle, et c’est la seconde priorité, il faut intéresser beaucoup plus massivement les classes moyennes à la création de valeur des entreprises. Tous actionnaires comme aux Etats-Unis et en Chine ! Il y a mille façons de bien faire, la participation en est une, les fonds de pension en seraient une autre. Il faut en tout cas une grande ambition et de grands moyens, une aspiration forte et conjointe de l’Etat, des entreprises et, si possible, de l’Europe.
Tous nos grands dirigeants à commencer par de Gaulle ont pratiqué le repli tactique pour fortifier le cap stratégique. Parions que notre Président saura le faire, car s’il devait renoncer à transformer la France, les gilets jaunes finiraient vite par rire jaune.