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La France, dernière digue de l’Europe démocrate

Publié le mardi 8 janvier 2019
Tribunes

Il faut appeler un chat un chat ! Le cancer qui ronge l’Europe, recouvert du voile pudique du populisme, n’est rien d’autre que la tentation national-socialiste.

Trente ans de mondialisation, surtout chinoise, ont démoralisé les travailleurs européens. Et les trente ans à venir d’intelligence artificielle, surtout américaine, menacent les salariés les plus qualifiés et les professions indépendantes. Rien de surprenant à ce que les Européens en aient conçu une méfiance de l’étranger, les immigrés devenant les boucs-émissaires de ce qui est perçu comme une défaite des nations face à la menace extérieure.

En Allemagne, le néonazisme ressuscite en réaction à une maladresse de langage d’Angela Merkel alors que cela fait des décennies que Berlin ne peut assurer sa croissance et payer ses retraites sans une immigration massive ; l’Angleterre est écartelée entre la droite du Brexit et la gauche sulfureuse de Corbyn ; l’Italie a porté au pouvoir une alliance contre nature entre les deux extrêmes. Même la Suède, modèle de la social-démocratie efficace et triomphante, est impactée ! Que les peuples européens aient réagi si vivement au mouvement migratoire des réfugiés du Moyen-Orient, somme toute marginal, ne peut s’expliquer uniquement par les attentats et la poussée de l’islamisme radical. C’est un mouvement profond de l’opinion qu’exploitent les partis extrêmes pour attiser deux haines, celle de l’étranger et celle du capitalisme.

Quand L’Europe vilipende Trump, qui n’est certes pas un modèle de dirigeant, c’est la poutre qui se moque de la paille. Car l’égoïsme national de Trump est celui d’une grande nation qui peut se passer des autres, et c’est un national-capitalisme (comme Xi-Jinping) porteur de succès, de l’emploi et de la Bourse, donc du travail et du capital.

Il n’y a pas, face aux Etats-Unis et à la Chine, d’autre alternative qu’une Europe forte et intégrée. Aucune nation européenne ne pèse, sans Europe, sur aucun des sujets d’inquiétude. Ni sur l’écologie (la France c’est 1% du CO2 mondial), ni sur l’immigration (que vaut la France seule face au risque migratoire d’une Afrique qui double de taille à 2,5 milliards d’habitants ?), ni sur la sécurité (la police se doit d’être sans frontière, comme le djihadisme)… Et surtout, sans l’Union Européenne, aucune nation n’est capable d’assurer la survivance de notre modèle social unique. Fracturées par les nationalismes et dégradées par un anticapitalisme extrême, les nations fabriquent leur ruine.

Dans ce dangereux virage, la place de la France est centrale. Car l’Europe avance sous l’impulsion du couple franco-allemand depuis l’origine. Or si Angela Merkel est une démocrate sincère et une habile politicienne, elle n’a pas la vision de l’Europe et du monde qui lui permette de changer le statut de l’Allemagne, géant économique mais nain politique. Sans Nicolas Sarkozy hier, et sans Emmanuel Macron aujourd’hui, l’euro et l’Europe sont en danger.

Certains, dont je fais partie, ont été fiers que notre pays choisisse assez clairement la modération et la modernité lors de l’élection présidentielle de 2017 plutôt que d’écouter les flatteries des meutes intolérantes de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Certes il y a eu de la naïveté dans l’euphorie générale, comme si la France avait élu un sauveur dont l’apposition des mains nous guérirait instantanément des écrouelles. Mais nos concitoyens ont été doués de raison pour admettre les réformes devenues inévitables.

Et voilà qu’en cette rentrée, c’est la curée sur le pianiste qui, malgré quelques fausses notes, ne fait qu’exécuter le morceau de musique fredonné durant sa campagne. La Fontaine taquinait déjà les grenouilles qui demandaient un roi, se désolant successivement d’un soliveau, puis d’un monarque autoritaire qui les dévorait. Il est devenu rituel que nos concitoyens retirent au bout d’un an le tapis sous les pieds du couple exécutif qu’ils ont élu. Mais attention ! La versatilité est secondaire quand tout va bien. Pas quand la France constitue la dernière digue de protection de l’Europe démocrate.