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Les entreprises françaises, entre « Germinal » et la révolution numérique

Publié le mardi 28 juillet 2015
Tribunes

Consacrer la valeur du travail et du même coup la légitimité de l’entreprise pour nous sortir de la crise, c’est ce que veulent désormais bon nombre de Français. C’était l’objet, cet été, des passionnantes rencontres d’Aix-en-Provence.

Pourtant, nos entreprises tant porteuses d’espoir, font le grand écart entre Germinal et le Cloud. Un pied dans la survivance d’une lutte des classes anachronique que cultivent de prétendus partenaires sociaux, qui jouent aux adversaires pour mieux persévérer dans leur être. Un pied dans l’espace numérique où se dissipe tout lien entre l’entreprise et ses équipes, entraînant l’ignorance mutuelle, pire encore que l’antagonisme des classes.

Il est vrai d’ailleurs que l’entreprise de demain se désintègre dans un big bang inversé qui pulvérise le temps et l’espace.

On imagine un nouveau monde tout volatil : l’entreprise menacée de disparition au quotidien, qui ne cesse de changer pour que rien ne change; et face à elle, son collaborateur, pour qui la précarité devient la règle. L’avenir serait la fameuse fin du salariat, ou au moins la fin de la monogamie qui marie durablement le salarié à son unique employeur.

A cette fracture temporelle entre l’entreprise et ses troupes, s’ajoute la fracture géographique. Mondialisation, délocalisation, externalisation, télétravail, qui disséminent les équipes multilingues et multicultures sur toute la planète. La transformation numérique de l’entreprise est un séisme, qui bouleverse non seulement la hiérarchie pyramidale, les rythmes, la localisation, la chronologie des contacts, mais aussi la représentation de l’entreprise pour son personnel, puisqu’elle devient une sorte d’hologramme suspendu dans le Cloud ! Comment, dès lors, rechercher leur attachement à une entreprise, celle de Germinal, bien réelle, mais en proie à la lutte des classes, ou celle de Cloud, totalement virtuelle ?

Et pourtant, la culture de l’attachement reste vitale. Ce n’est pas parce que l’entreprise se métamorphose qu’elle ne compte plus pour ceux qui y travaillent, bien au contraire. Rêvons un peu : et si nos entreprises offraient au monde occidental opulent et désemparé le remède miracle de la « compétitivité heureuse : travailler plus pour vivre plus ?

Rien dans notre société sans convictions n’est plus porteur de sens que le projet d’entreprise, association d’énergies et compétences pour répondre à un besoin. Il faut désormais bâtir dans nos démocraties la conjuration des classes dans l’intérêt commun. Et le théâtre privilégié de cette conjuration pour le partage d’avenir, c’est évidemment l’entreprise, créatrice d’emplois, de richesses, et de connivence. Car c’est là que le dialogue social est plus simple et plus concret que le double monologue social au niveau national, trop idéologue et trop élitiste.

Réconcilier les adversaires sociaux, conservateurs par intérêt,  exige un examen de conscience des protagonistes. Il faudra bien que les syndicats, contraints à la surenchère parce qu’ils ne représentent qu’une poignée de salariés, acceptent la vraie représentativité, leur élection par le vote obligatoire de l’ensemble du personnel. Il faudra bien que les dirigeants et actionnaires acceptent d’offrir du capital à tous les salariés, pour que ceux-ci « participent » au sens gaullien du terme, affectivement autant que financièrement. Il faudra bien que les responsables politiques, flirtant avec la démagogie, renoncent au contre-sens historique de la condamnation des stock-options au lieu de leur extension à tous, comme le font si bien les start-ups. Quelle métamorphose du dialogue social si les syndicats représentaient l’ensemble des salariés devenus tous actionnaires ! Quel moteur de compétitivité et de profitabilité pour l’entreprise si tous les intérêts sont alignés ! Et quel ferment de transformation de toute notre société !

Car c’est au sein d’une entreprise réconciliée que peut commencer la reconstruction de notre pays menacé de déclassement. Reconstruction économique, mais aussi politique et morale. L’absence de leadership politique dans notre monde occidental affolé crée un vide dangereux. La défiance croissante des peuples à l’égard des Etats, sur les deux rives de l’Atlantique nourrit les populismes et le triomphe des marabouts. Or la légitimité perdue par le monde politique disqualifié se réfugie dans les bras de l’entreprise, même dans notre pays colbertiste. Qu’il le veuille ou non, le chef d’entreprise se devra d’assumer désormais le leadership sociétal et politique de l’Occident.

Pour en finir avec la crise, tout est aujourd’hui affaire de rétablissement de la confiance. Or la confiance mutuelle de l’entreprise et de ses soldats, désormais volontaires, est le premier moteur de diffusion de la confiance auprès de l’écosystème, des clients et de la cité toute entière. S’agissant d’équilibre, ce qui se passe à l’intérieur se voit à l’extérieur. Comme le yaourt ! Les cyniques ricaneront mais ils seront les dindons de la farce. Comme le disait le Cardinal de Retz : « on est bien plus souvent dupé par la défiance que par la confiance ».