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2014: L’année du funambule

Publié le mercredi 5 février 2014
Tribunes

Ne nous y trompons pas : 2014 est une année de grandes incertitudes.

Pourtant 2013 aura apporté nombre de soulagements, dont certains sont légitimes : la reprise économique américaine s’installe ; les pays les plus fragiles de la zone euro commencent à toucher les premiers dividendes de leurs durs sacrifices ; La Chine maîtrise son dérapage inflationniste, porteur de déséquilibres sociaux et politiques majeurs, et a porté au pouvoir un dirigeant fort et réformiste, capable de conduire cet immense pays vers un style de croissance plus ouvert au monde et plus équilibré.

Mais parfois aussi, l’année dernière n’aura offert que de « lâches soulagements », porteurs de graves incertitudes. Deux apaisements d’origine américaine, l’un politique, l’autre économique, sont les ferments du danger : l’isolationnisme des Etats-Unis, le robinet monétaire.

 

Les crises iraniennes et syriennes se sont récemment éloignées de leur phase paroxystique, mais pour combien de temps ? Mieux vaut certes l’apaisement dans cet Orient compliqué où une intervention musclée de l’Occident serait inflammable. Mais, pour l’instant, aucune des deux négociations n’a progressé : les fauteurs de trouble, d’ailleurs complices, sont-ils sincères et crédibles dans leur volonté de négocier ? Pour l’instant, l’un et l’autre gagnent du temps, donc du terrain.

L’apaisement passager est la conséquence de l’effacement des Etats-Unis dans cette région. Sans doute cet isolationnisme résulte-t-il de la tradition démocrate et du pacifisme d’Obama, mais plus fondamentalement de la perspective d’autosuffisance énergétique des Etats-Unis. Face aux avancées de la Russie et de la Chine, la fin de la pax americana dans ce foyer incandescent ne présage rien de bon.

 

L’autre ferment d’inquiétude, c’est l’inondation de liquidités. Aujourd’hui, le monde entier suit peu ou prou l’exemple de la Fed, où les excès de Greenspan ont été traités par encore plus de création monétaire par Bernanke qui n’avait guère le choix. Janet Yellen qui lui succède est notoirement la reine des colombes. Le robinet s’est grand ouvert partout, même la sage BCE sous influence allemande. Le Japon ne parvient à sortir de vingt ans de déflation qu’en adoptant une politique monétaire ultra-accommodante. Et la Chine n’a conjuré un dangereux chômage de masse qu’en ouvrant grandes les vannes du crédit. La planète entière est sous l’eau !

Personne bien sûr ne songerait à condamner les banquiers centraux, sauveurs de la planète. Mais de fait, il a fallu utiliser une dose massive de drogue monétaire pour réanimer l’économie mondiale, tombée précisément dans un coma lié à l’overdose de la même drogue : on a soigné la dette par la dette, donc le mal par le mal. Comment sortir de ce cercle vicieux ?

D’autant plus que les liquidités ne vont pas dans la bonne direction : elles se déversent sur les marchés de capitaux bien plus que sur l’économie réelle. On assiste à une schizophrénie mondiale, où se gonfle la bulle  inflationniste des actifs mobiliers et immobiliers tandis que menace la déflation de la demande solvable et des prix des biens et services. Chacun connaît la fameuse « trappe monétaire » de Keynes où les taux zéro incompressibles deviennent des taux réels dangereusement positifs du fait de la baisse des prix. Cet enclenchement de la paralysie économique n’est pas encore avéré, mais ne sera conjuré que par un redressement des fondamentaux économiques qui justifiera l’euphorie financière.

 

Aux Etats-Unis, la crise immobilière s’achève, et le coût du travail se rapproche suffisamment du niveau émergent pour restaurer la compétitivité, donc l’emploi. Il n’est pas impossible qu’Outre-Atlantique l’économie réelle parvienne à légitimer « l’exubérance irrationnelle » des marchés financiers et remettre en selle la seule vraie locomotive mondiale.

Le Japon, démographiquement décadent, comme l’Allemagne, dont l’excellente gestion économique permet de ralentir le déclin, sont forcément déflationnistes. Ils ne vivent que de l’exportation vers les pays à démographie dynamique. D’où, malgré leurs graves différents politiques, la solidarité économique sino-nipponne. D’où aussi le soutien par l’Allemagne bougonne de la France et de l’Europe du sud au sein de la zone euro.

 

La France est évidemment le centre du funambulisme mondial, entre une économie réelle éteinte, et des marchés financiers complaisants, sur la dette publique par exemple. Peu importe que le « tournant présidentiel » soit ou non sincère : il ne fait que suivre le mouvement de l’opinion appelant au réalisme économique par le soutien de l’entreprise et la mise au régime des administrations publiques, nationales et locales. La première préoccupation des français aux municipales prochaines sera la fiscalité et sur ce thème, la crédibilité  des responsables politiques se jouera sur le courage. Le courage d’expliciter les économies de dépenses publiques qui permettront de financer la maîtrise de l’impôt. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que la France redeviendra le grand partenaire européen de l’Allemagne, et que la zone euro d’apparence calme sera consolidée sans drogue monétaire.

 

Ainsi, en 2014, comme en 2007, le funambule mondial avance sur un fil, tendu par les Etats-Unis.  Entre guerre et paix dans les zones brûlantes du Proche-Orient, que le pacifisme américain a pour l’instant apaisées. Entre déflation économique et bulle financière, grâce à l’inondation monétaire, initiée par la Fed, pour éviter le désastre. Chacun sait que la déflation, menaçante mais non avérée, deviendrait une certitude en cas d’éclatement de la bulle sur les marchés d’actions et de taux. L’année qui commence est avant tout celle des incertitudes. D’autant plus grandes que, comme le disait Dick Fuld : « tant que l’orchestre joue, il faut continuer de danser ! ». Peu après, ce fut la faillite de Lehman et le début de la « grande récession »…